lundi 25 mai 2009

La légende du souterrain de l'abbaye de Gorze


Trou Robert Fey - Gorze (57)



La légende :


L’abbaye de Gorze à proximité de Metz fut riche, puissante et donc très convoitée. Craignant une attaque surprise qui les piègerait dans leurs murs, les moines avaient aménagé un souterrain entre l’abbaye et le Bois-des-prêtres, où ils placèrent la sortie au milieu des bois. Ainsi il leur serait possible de fuir pour se mettre à l’abri si une troupe venait à donner l’assaut.



Or vint le jour où ce souterrain dut servir. Fuyant les belligérants, des moines s’y réfugièrent emportant avec eux toutes leurs richesses. Mais le malin pour les punir d’avoir eut ce réflexe si vénal, les empêcha de sortir du tunnel les laissant y mourir. C’est donc au milieu de leur or que les moines périrent. Le diable s’empara alors de tous les trésors des moines et en prit la garde parmi les cadavres.





La réalité :


Un souterrain entre l’ancienne abbaye et le Bois-le-Prêtre ?


La sortie du souterrain légendaire, se situe au niveau du trou Robert Fey, mais que vous pourrez aussi trouver sous le nom de Robin Fey. Ce trou est une cavité naturelle créée par la rupture de la roche (une diaclase si vous voulez briller en société). Elle est composée d’un puit de 7 mètres de profondeur et d’un boyau long de 40 mètres fait de deux galeries disposées en vis-à-vis.



Le souterrain semble partir dans la direction de l’abbaye comme pour la rejoindre mais il faut savoir qu’entre les deux points il y a environ un kilomètre et demi surtout une vallée de 60 mètres à descendre, ce qui semble rendre la possibilité d’un passage entre les deux, peu probable. J-B Nimsgerb dans son Histoire de la ville et du pays de Gorze nous dit qu’en descendant par le puit on arrive sur une « espèce de chambre assez régulière [ou] l’on voit un passage fermé qui parait conduire directement à l’abbaye. » Toutefois ce dernier ne croit pas non plus que le tunnel puisse donner réellement sur l’abbaye. L’accès au puit étant fermé par une grille, je n’ai pu me rendre compte de l’existence de ce passage obturé.




La croyance populaire a également considéré que le trou Fey communiquait avec le fond de la Gueule, une vallée de l’autre coté de Gorze. Il y a toutefois peu de chance que cette fameuse cavité ne mène nulle part.



Un trésor dans le trou Fey ? Et bien oui… Protégé par le diable ? Euh… là non….


La légende nous promet un trésor si nous partons explorer le souterrain. Et comme c’est le trésor de l’abbaye de Gorze, communauté extrêmement puissante et influente, cela laisse rêveur. Tout d’abord nous remarquerons que le diable peu confiant dans ses pouvoirs, l’obscurantisme s’amenuisant certainement, a préféré mettre une porte pour protéger son trésor, car trésor il y a bien.

Alors ? Or ? Diamants ? Pierres précieuses ? Que nenni. Le trésor ce sont entre autres des grands et petits Rhinolophes, deux espèces de chauve-souris protégées.


Große Hufeisennase, Rhinophus ferrum-equinum Schreb. Friedrich Specht. Wikipédia


En guise de protection diabolique on a une protection par arrêté préfectoral qui fait quand même beaucoup moins peur. Mais si aujourd’hui les histoires de diable nous font sourire, ce ne fut pas toujours le cas, et même il y a encore peu de temps. Un ouvrage de 1853 mentionne que : « De fréquentes incursions dans la grotte, par des gens qui ne crurent pas même nécessaire d’emporter de l’eau bénite, étant à peu près surs de n’y pas rencontrer le malin esprit, ont démontré que cette caverne [] n’était habitée que par des chauves-souris et était l’ouvrage de la nature et du temps, et non des hommes. » Je vous laisse tirer les conclusions que vous voulez, mais même si l’on casse le mythe de la légende et de la présence du diable, on trouve dans ces propos encore beaucoup de superstition.



Un souterrain dans l’abbaye de Gorze ?


L’abbaye de Gorze fut bien sûr attaquée au cours de son histoire et l’on peut comprendre la légitime peur des moines de notre légende. Je dit bien sûr, car ce dut être le lot de la plupart des lieux ayant quelques richesses (mais même n’en ayant pas d’ailleurs), sauf que Gorze fut une abbaye d’une immense puissance possédant un durable rayonnement Européen. Voila qui attire les convoitises. Et quand en plus on sait que Gorze était la possession de laïcs, on peut en plus imaginer qu’aux convoitises s’ajoutèrent les rivalités.



Je vais vous donner quelques exemples de ce que connut l’abbaye.

Au cours des XIème et XIIIème siècles la région se morcelle en de nombreuses seigneuries induisant moult conflits, l’abbaye fera évidemment régulièrement les frais de ces guerres incessantes.

En 1444 c’est l’armée de Charles VII qui pille Gorze puis en 1479 et en 1483 les Bourguignons remettent Gorze à sac. D’autres guerres mirent encore Gorze à rude épreuve. Par exemple en 1542, 1543 et 1552 l’abbaye sera prise et reprise tantôt par l’Empereur, tantôt par le roi de France.


Etre moine à Gorze était donc loin d’être de tout repos. Serait-il alors inconcevable qu’il y ait eut un souterrain qui quittait l’abbaye ? A priori non. Je n’en ai toutefois trouvé nulle trace dans les quelques ouvrages que j’ai consulté. Devant une telle fréquence d’attaques, une sortie de secours aurait pu être mise au point. Ce n’est bien sûr qu’une projection imaginaire. Mais poussons la projection encore plus loin. Nous pouvons par exemple imaginer qu’occupés à fuir une attaque et emmenant avec eux une partie de leur trésor, un coup de canon, par exemple, ait put faire s’effondrer les murs sur les moines. Le roi de France, Henry II, en tirera par exemple 66 lors de la reprise de l’abbaye. Les légendes ont souvent un fond historique… Mais alors ce trésor ?




Plan :

Voici le plan pour vous rendre au Trou Fey et à l'ancienne abbaye. Pas de soucis pour l'abbaye mais c'est plus compliqué pour atteindre le Trou Fey. Il y a beaucoup de façon d'y parvenir. Depuis le mont Belin à hauteur de la ferme, traverser la route pour prendre le petit chemin qui descend. Au niveau du batiment, monter le petit sentier qui grimpe dans la foret. Au carrefour en "Y", le trou se trouve dans l'étendue prise entre les "branches du Y". Il faudra chercher car c'est très peu visible.


Légendes thématiquement proches :




Légendes géographiquement proches :




Bibliographie :


Histoire de la ville et du pays de Gorze depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours. J-B Nimsgern. 1853. Disponible sur Google Book.


Trou Robert Fey. Conservatoire des Sites Lorrains.

http://www.cren-lorraine.com/index.php?page=dsite&num_site=166


Description de la partie de la formation oolitique qui existe dans le département de la Moselle. V. Simon. Mémoires de l’Académie nationale de Metz. 1831-1832. Pages 247-248.

Disponible sur Google Book.


Abbaye de Gorze. Wikipédia. http://fr.wikipedia.org/wiki/Abbaye_de_Gorze


Les chroniques de la ville de Metz (900-1552). Collectif. 1838. Pages 862-863.

Disponible sur Google Book.

samedi 9 mai 2009

La légende des nutons de Volaiville

Volaiville - Belgique


La légende :


Les nutons, petits êtres travailleurs, sont toujours prêts à rendre service, à condition que l’on n’en abuse pas. Voici une légende qui vous le prouvera.


Un jour, dans le village de Volaiville, une veuve vint trouver les nutons devant le trou servant d’entrée à leur caverne. Celle-ci était en pleurs car depuis la mort de son mari, ses terres étaient à l’abandon. Elle et ses enfants ressentaient déjà les premières affres de la famine. L’un d’eux fut ému par la pauvre femme et lui proposa son aide. Il lui suffirait de déposer dans le champ les outils nécessaires au travail.


Le lendemain elle vit avec joie que le premier de ses champs avait été labouré et semé. Les jours suivants, les autres champs furent également mis en culture.



Un des champs des nutons ?


Durant plusieurs années, les nutons se chargèrent de l’entretien des champs de la veuve, la mettant à l’abri du besoin. Sous les mains des petits êtres, les champs furent plus beaux et plus prospères que jamais. Mais un jour, elle proposa à son voisin, contre monnaie sonnante et trébuchante, de lui faire bénéficier du travail de ses bienfaiteurs. Elle mit donc ses outils dans le champ de celui-ci en pensant que les nutons ne verraient pas la supercherie.


Ce fut une grossière erreur, car non seulement le champ ne fut pas labouré, mais en plus, depuis lors, les nutons ne vinrent plus en aide aux habitants de Volaiville.


Mais ne serait-ce pas un nuton ?



Les variantes :


Le thème de cette légende est un thème extrêmement populaire dont on trouve de nombreuses adaptations. Mais nous allons donc nous focaliser ici sur les variantes de la légende liée à cette localisation.


Tout d’abord il faut signaler qu’exactement la même légende existe dans le village d’à coté, à Winville. Toutefois les trous des Nutons de Winville et de Volaiville communiquent, selon la tradition populaire. Ouf, nous éviterons ainsi les guerres de clocher.


Parfois la ruse visant à mettre les outils dans le champ du voisin ne se fait pas contre rétribution ou en tout cas, les textes n’en font pas mention. Le résultat reste néanmoins le même : les nutons arrêtent d’offrir leur aide.



Le trou des nutons proche de Volaiville



La réalité :


Les nutons : morphologie et sociologie d’un concept mythologique (bref, une petite description)


Les nutons possèdent dans la mythologie belge quelques caractéristiques remarquables et relativement constantes. Mesurant autour d’un mètre et possédant une barbe grise fournie, le nuton est menu à la différence d’un nain que la mythologie (ou tout du moins celles issues des univers de Tolkien) rend trapu. Peut être pour se grandir un peu, il porte généralement un chapeau pointu rouge qui surplombe un visage joviale et des yeux pleins de malice.


Le nuton est serviable et travailleur, mais il est très susceptible. Si l’on tente de le rouler ou si on oublie de le remercier il fera connaître son mécontentement.



Un petit nuton - Auteur inconnu


Il possède la fascinante caractéristique d’être habile dans tous les métiers. Il passe donc aussi bien de celui de fermier, à celui de tailleur de pierre ou de cordonnier, en passant par celui de rémouleur ou de forgeron. Il demande généralement à être rémunéré en nourriture. D’ailleurs les campagnards n’hésitaient pas à placer des aliments à coté d’un objet à réparer ou directement devant l’entrée de la caverne du nuton, car c’est là son lieu de vie. Le nuton à l’instar du nain, vit donc dans des cavernes. Les entrées sont connues sous le terme de trou de nutons. C’est par exemple ce que l’on trouve à un kilomètre environ de Volaiville.


Il est à noter également que le personnage à une activité essentiellement nocturne qui explique que l’on ne le voit que peu.

Je limiterai ici pour cette courte description. Vous trouverez infiniment plus de détails en parcourant les quelques liens de la bibliographie.


Toujours le même trou de nuton


Mais d’où viennent-il ? Jean-Luc Duvivier de Fortemps voit dans les nutons la réminiscence de cultes liés à des divinités secondaires qui se seraient fondues dans le folklore local. L’hypothèse semble fort séduisante et pourrait expliquer le dépôt d’offrande sous forme de nourriture, indispensable pour s’attirer les bonnes grâces des ces petits personnages si versatiles.



Les Nutons : une histoire belge… mais pas seulement.


Nutons, lutons, duhons voire sotê ou massotê selon les régions de la Belgique, ce petit être existe sous ces appellation à l’état endémique dans ces territoires. Mais on trouve bien sûr des équivalents en France sont le terme de lutin (parfois le peutone).


Le terme luton dérive d’ailleurs du lutin, alors que le nuton provient de netun en ancien français qui est un diablotin, mais aussi de nutt en wallon qui désigne la nuit.

Il est intéressant de voir la vitalité du nuton en Belgique qui semble bien plus vive que dans des pays voisins tel que le France. Je ne crois pas qu’il existe de rue des lutins en France, alors qu’il existe par exemple plusieurs rues des nutons en Belgique, dont une à Volaiville. Si l’on regarde les publications scientifiques (qui étudient le folklore… évidemment) ou autres, on y trouve une représentation importante du nuton contre finalement assez peu en France.

Et du coté du légendaire ? Et bien c’est pareil. La Belgique fourmille de trous de nutons et de légendes relatives alors que finalement en France, pourtant toute proche, on ne trouve pas cette présence importante, ou en tout cas pas sous cette entité unique.




Doit-on en conclure que le nuton fut plus actif dans le Royaume que dans les régions voisines ? Pas forcement.

Car on trouve évidemment des histoires de lutins en France et notamment en Lorraine. Souvenez vous de notre conte de peutones mosellans, mais sachez également qu’en Lorraine de petits êtres aident beaucoup nos paysans. Parfois ils les nourrissent, parfois ils sortent leurs charrettes d’ornières, parfois ils réparent des outils brisés et ainsi de suite. Toutefois, ils se heurtent à la concurrence de fées, ou autres dames vaporeuses, dans leur travail d’assistance rurale.

En Belgique le syndicat du nuton semble bien plus puissant, ou en tout cas plus médiatique, que son homologue lorrain.


Monument à la gloire du nuton ou circuit touristique ? (panneau du circuit des légendes)


Y a-t-il une raison à cela ? Au départ certainement pas, car la Lorraine et ce bout de Belgique, que l’on connaît sous le nom de Lorraine Belge, ont connu de grands pans d’histoire communs. Il faut donc certainement trouver une raison plus tardive.

Est-ce l’impact de la religion qui fut plus forte dans une région que dans l’autre ? En Lorraine on trouve des trous que l’on pourrait attribué aux lutins mais qui hébergent un saint comme par exemple à Soulosse-sous-Saint-Elophe.

Est-ce une culture locale qui fut mieux conservée ? Est-ce un goût pour le merveilleux plus vivace ? Peut être que des lecteurs belges pourront donner quelques éléments de réponse.


Un autre champs pour les nutons avec les premières fermes de Volaiville dans le fond.


Et puis bien sûr des lutins, nutons, gnomes ou quelque soit leurs noms, on en trouve dans de multiples pays. D’ailleurs certainement connaissez vous « les lutins » des frères Grimm, où les cousins allemands des nutons rendent aussi des bien services grâce à leur fabuleuse habilité. Eux par contre connaîtront une fin différente… mais je vous laisse la surprise…



Plan :


Voici la carte pour vous rendre à la roche des Nutons. Du centre du village, gagner la rue des Nutons puis longer le cour d'eau jusqu'au rocher.



Légendes thématiquement proches :





Légendes géographiquement proches :





Bibliographie :


Le nutons de Volaiville – Panneau du parcours « Sûr e Naturel ». Un parcours magique qui vous fera visiter 19 lieux de légendes entre Belgique et Luxembourg. Je ferai un article dessus quand j’aurai eu le temps de finir le circuit.


Le nuton, Nain de l’Ardenne fantastique – Jean-Luc Duvivier de Fortemps. Fascicule passionnant de 18 pages produit dans le cadre des « chemins de la Pierre » et illustré par de superbes photos. Disponible sur http://www.lescheminsdelapierre.be/cheminspierre/


La légende des nutons de Volaiville - http://blog.enseignons.be/villerssursemois/

http://nutons.be


Les nutons – Peuple Féerique. http://peuple-feerique.com/2008/08/31/les-nutons/


Les lutins – Grimm contes. http://www.grimmstories.com/fr/grimm_contes/les_lutins


Pas mal d’autres liens de moindre importance que vous trouverez via Google.