vendredi 26 juin 2009

La légende des étoiles de Sion


Saut de la pucelle - Colline de Sion-Vaudémont (54)




Le texte de la légende qui suit n’est pas de ma plume. Je me suis permis de le reprendre de Mr E. Olry qui d’une part l’a joliment écrite mais qui surtout l’a posé sur le papier en 1868. J’ai simplement ajouté la fin (entre crochets) qui correspond à l’état actuel de la légende. J’ai trouvé intéressant de pouvoir voir directement l’évolution de la légende, même si du coup le récit est un peu « hachée ».



La légende :

Une jeune princesse de la noble maison de Vaudémont avait une dévotion singulière envers Notre Dame de Sion. Elle s'en revenait un jour, à cheval, du sanctuaire vénéré et traversait le bois qui couvre une partie du plateau, quand elle se vit, tout à coup, poursuivie par un jeune seigneur dont elle avait lieu de suspecter les intentions. Elle voulut chercher son salut dans la fuite, piqua sa haquenée* qui s'emporta et arriva en un instant sur le bord à pic de la montagne. En présence de cet autre danger, la retraite étant probablement impossible, la princesse n'hésita pas un instant, se recommanda de nouveau à la Vierge, sa protectrice, et s'élança dans le vide.


Le saut de la pucelle et le chemin prit par la princesse de Vaudémont dans la légende

On dit que la jeune fille n'éprouva aucun mal d'un trajet si périlleux, et qu'elle fut ainsi miraculeusement sauvée. On ajoute que les pieds du cheval marquèrent l'empreinte de leurs fers sur les rochers placés au bas de la côte, et qu'on voyait encore ces empreintes il n'y a pas bien longtemps. [Alors que le vil poursuivant de la princesse de Vaudémont s’apprêtait à effectuer le même saut, la Vierge prit une poignée d’étoiles dans le ciel et les jeta au visage du seigneur et de son destrier. La monture aveuglée, se cambra et rebroussa chemin avec son cavalier sur le dos. C’est ainsi que l’on trouve encore aujourd’hui des étoiles sur le sol.]

* Une haquenée est un cheval ou une jument destinée autrefois aux dames.



Des fragments de crinoides fossiles



Les variantes :


Cette légende connue sous le nom de légende des étoiles de Sion ou de légende du saut de la pucelle est très populaire. Elle fut donc souvent reprise et inévitablement souvent modifiée. J’ai choisi de reprendre tel quel le texte le plus ancien que j’ai trouvé et qui date de 1868 afin d’avoir la version la plus « juste ». Donc première constatation importante : le texte d’origine ne fait pas intervenir les étoiles qui sont pourtant devenu l’élément central des versions actuelles de la légende. Mais de ça nous reparlerons dans la dernière partie.


Il existe, je vous l’ai dit, bien d’autres variantes, certes plus mineures.

La jeune fille, pivot de la légende, est souvent une princesse de la maison de Vaudémont, village se trouvant sur la colline de Sion. Il arrive toutefois que la légende parle d’une princesse, mais sans donner la filiation. Enfin certaines légendes font intervenir Jeanne d’Arc, illustre figure lorraine. Pour ma part ma préférence va sans réserve à la princesse de Vaudémont.



Les armes de la famille de Vaudémont sur la croix Sainte Marguerite



Parfois la princesse ajoute une phrase, faisant office de formule magique. On trouve par exemple : « Notre Dame de Sion, sauvez moi » ou « Bonne Dame de Sion, sauvez moi ».


Certaines variantes nous donnent des précisions sur le cheval de la princesse de Vaudémont. Il lui arrive d’être blanc et il lui arrive d’être un cadeau du comte Henri III.


Et puis le cavalier peut bien sûr également varier. Il est tantôt mystérieux cavalier, tantôt noble seigneur. Son devenir peut être plus ou moins tragique. Dans le meilleur des cas le cheval fait volte face, dans le pire il va s’écraser avec son cavalier au fond du ravin.

Le reste de la légende ne change que peu, si ce n’est la mise en scène produite par les conteurs.



Tentative de panorama



La réalité :


Sion, haut lieu sacré de Lorraine.


La colline de Sion est certainement un des lieux sacrés les plus important de Lorraine. Le phénomène n’est pas récent puisque avant l’implantation des chrétiens, furent présent sur la colline les cultes leuques, puis gallo-romains et enfin germains. En ce qui concerne l’occupation des lieux, les traces remontent au néolithique.

Pourquoi la colline de Sion (en fait Sion-Vaudémont) porte t’elle le même nom qu’un des monts de Jérusalem ? Il s’agit là d’un mystère.



L'ancien couvent et l'église de Sion


Sur cette colline se trouve le lieu-dit du saut de la pucelle, cadre de la légende. Il s’agit d’un ravin quasiment à la vertical et assez profond dans la forêt. A son pied se trouverait l’empreinte d’un sabot de cheval dans la roche. Si aujourd’hui elle n’est plus visible, il semblerait qu’en 1820 il était encore possible de la voir. Ce qui est par contre encore visible aujourd’hui, ce sont de vieux murets de pierre. Je n’ai aucune idée de leurs âges.

Cette fameuse empreinte n’a rien d’étonnant. Nous avons déjà vu que l’on en trouvait fréquemment dans les lieux de cultes païens.


En contrebas du saut de la pucelle avec des restes de murets



Les étoiles de Sion


Si vous fouillez le sol de la colline de Sion, vous trouverez effectivement des « étoiles ». D’ailleurs vous croiserez certainement des gens occupés à gratter le sol. Il s’agit de fossiles de fragment de lys de mer (crinoïdes). Chaque « étoile » correspond à une unité (entroque) du pédoncule (la « tige ») de l’animal marin. C’est très grossièrement l’équivalent d’une vertèbre chez l’homme. Si vous souhaitez en trouver, rendez-vous de préférence à proximité de la croix Sainte Marguerite, c'est-à-dire à peu de distance du saut de la pucelle.


La croix Sainte Marguerite : Pour se lancer à la chasse aux "étoiles" se diriger vers les buttes toutes proches


Pour comprendre comment ces fossiles ce sont retrouvés là, il faut se souvenir qu’il y a 155 millions d’années la mer recouvrait la Lorraine. Durant cette phase marine, des dépôts sédimentaires s’accumulent sur le fond. Puis il y a 65 millions d’années la mer se retire de Lorraine et ne reviendra plus. 10 millions d’années plus tard (donc il 55 millions d’années pour ceux qui suivent) la collision des plaques eurasiatiques et africaines forme les reliefs de la Lorraine. La colline de Sion, entre autre, se forme. Ces reliefs furent beaucoup plus importants à l’origine car l’érosion aidant, les différences d’altitudes vont se réduire. Voila donc pourquoi on retrouve ces fossiles d’animaux marins sur la colline.


La minute culturelle


Nicole Lazzarini dans ces contes et légendes de Lorraine, nous fait part d’une croyance relative à ces étoiles. Si une jeune fille trouve neuf étoiles sur la colline, elle se mariera dans l’année. Je n’ai toutefois pas pu trouver d’autres sources sur cette croyance.



Elle saute, elle saute la pucelle.


Notre pauvre pucelle n’en fini pas sauter, poursuivi inlassablement par moult malandrins à travers la France. Le même thème se retrouve dans de nombreux endroits et les rochers du « saut de la pucelle » sont légions un peu partout. Elle saute par exemple dans l’Odet près de Quimper, dans le Doubs près de Dole, près du lac du Bourget, à Murel en Auvergne, à Rignac en Aveyron et ainsi de suite.


Alors pourquoi saute t’elle cette pucelle du haut des roches abruptes ? Pour sauver sa vie ? Et bien même pas puisque parfois elle en meurt. Elle saute généralement pour sauver sa virginité. Le but de ces légendes était il de marquer l’esprit des jeunes filles ? Les légendes ont parfois, comme les contes, une visée éducative ou tout du moins moralisatrice. A une époque où de la virginité d’une jeune fille au jour de son mariage, dépendait l’honneur de la famille, l’hypothèse n’est pas insensée.

Il existe évidemment des variantes dans les détails des différentes légendes, mais la trame reste relativement identique.


Le saut de la pucelle


Et puis souvenons nous qu’il n’y a pas que les pucelles qui sautent. Les hommes aussi dévalent les roches, juchés sur leurs montures comme le rapporte par exemple la légende du saut du prince Charles à Saverne.


Ce qu’il est important de noter c’est que la spécificité de notre légende par rapport au thème classique n’est qu’une modification tardive puisque en 1868, il n’y avait pas la partie concernant les étoiles. Est-ce là une concaténation avec une autre légende ? Est-ce un ajout tardif à l’histoire ? Cet élément fut-il omis dans son texte par Mr Olry ? Ma préférence va plutôt, en l’absence d’autres textes anciennes, à la seconde hypothèse. Le 19ème, ère romantique, est l’âge d’or des légendes. Beaucoup d’histoires vont naître à cette période et certainement beaucoup d’autres seront remaniées. La notre peut être aussi.



Plan :


Voici le plan pour vous rendre au rocher de la Pucelle. Il existe différents chemins de randonnée pour y parvenir, faisant, pour la plupart, des boucles. Vous trouverez beaucoup de cartes sur place. Profitez en pour visiter le reste de la "Colline inspirée".



Légendes thématiquement proches :




Légendes géographiquement proches :




Bibliographie :


Le saut de la pucelle. E. Olry. Journal de la société d’archéologie et du comité du musée lorrain. 1868. http://books.google.fr/books?id=Q5sEAAAAQAAJ&pg=RA1-PA56&dq=%22saut+de+la+pucelle%22&lr=&as_brr=0


Colline de Sion. Wikipédia. http://fr.wikipedia.org/wiki/Colline_de_Sion


Colline de Sion. Site du conseil général de Lorraine. http://www.sion.cg54.fr/


Le guide la Lorraine de l’étrange. J-P Ronecker. 233-237.


Découverte et inventaire des fossiles – Pelouse de Sion-Vaudémont. Collège Robert Géant. http://www.mdecg54.fr/blogs/index.php?blog=191


Plusieurs sites relatant la légende du saut de la pucelle mais généralement des copier coller (ou à peu près) de Wikipédia.


Plusieurs documents sur les « saut de la pucelle » dans différents coins de France. (Vous pouvez m’en demander la liste).


jeudi 11 juin 2009

La légende du saut du prince Charles

Roche du saut du prince Charles - Saverne (67)



La légende :

Alors qu’il était sur les hauteurs de Saverne, le prince Charles fut prit en chasse par ses ennemis. Pour leur échapper, il fit faire à sa monture un saut depuis une roche située à une douzaine de mètres de haut. Destrier et cavalier arrivèrent tout deux en bas sains et saufs. Mais du fait de la hauteur, le cheval marqua la pierre en contrebas de l’empreinte de ses quatre fers. Et c’est tout juste boitant d’une patte que la monture reconduit le prince à Saverne.


Pris sur http://thierry.heitmann.free.fr


Les variantes :

J’ai utilisé la version qui m’a paru la plus ancienne pour rédiger mon texte. Elle est inspirée de la version de Voulot qui date de 1872.
Une variante conte que c’est entraîné par l’ardeur de la chasse que le cheval aurait sauté du haut du rocher. Une autre version mêle les deux premières en narrant que le prince fut poursuivit par des ennemis « secrets » lors d’une chasse à courre.

Vu du haut du saut du prince Charles

La précision selon laquelle le cheval rentre en boitant ne figure généralement pas dans les autres sources de la légende que j’ai pu lire. Ajout cette version ou perte ultérieure ? Je ne saurai le dire.

Une légende dont le début est identique existe sur la colline de Sion. Dans celle-ci c’est une jeune princesse qui fait le grand saut et qui va laisser en contrebas les marques de son cheval. Mais nous aurons l’occasion de voir cette légende en détails très (c'est-à-dire « assez ») prochainement.


Les traces de sabot en contrebas du rocher


La réalité :

La roche du saut du prince et son environnement.

La roche du saut du prince Charles se trouve sur les hauteurs de Saverne. Haut d’une douzaine de mètres, il est creusé d’un petit autel. A ses pieds se trouve une singulière route datant du XVIème siècle et creusée d’ornières servant à guider les roues des charrois. Au somment du rocher se trouvent des traces de fer à cheval (en tout cas au moins une), mais celles qui nous intéressent sont celles que l’on peut voir en contrebas de la roche, de l’autre coté de la route de pierre.




Comme l’indique la légende, une roche porte la trace de quatre fers. Ils sont situés dans l’axe de la roche du saut du prince Charles et sont très rapprochés les uns des autres. En laissant travailler son imagination on pourrait parfaitement envisager qu’un cheval, lancé à vive allure du haut de la roche, ait pu atterrir à cet endroit. Évidemment cavalier et monture se seraient écrasés. Mais c’est la que commence la légende.




Le symbolisme du sabot de cheval.

L’autre évidence c’est bien sûr que ces marques de fer à cheval furent creusées par l’homme. Essayez le lancer votre belle-mère avec ses talons hauts du haut d’une roche et vous verrez bien si vous avez des marques de talons dans la roche qui est en dessous.

Mais alors pourquoi trouve t’on ces traces de fers ? Nous partirons bien sûr de l’hypothèse que ces traces sont très anciennes. Si vous suivez un peu le blog, vous savez que des traces de fers on en trouve souvent.




Il est possible que ces traces puissent symboliser le passage d’une divinité dans le lieu concerné. On trouve des traces de sabot dans des temples ou dans des lieux de cultes druidiques, ce qui n’est certes pas une preuve que cette hypothèse soit vraie. Par contre la tradition populaire a longtemps assimilé des traces de sabot à des preuves du passage de tel ou tel saint. Serait-ce une résurgence ou une christianisation des croyances passées ? D’ailleurs dans notre légende ces marques ne sont t’elle pas la trace du passage de notre fameux prince Charles.




Ces marques pourraient également être des marques « magiques » destinées à éloigner les forces maléfiques, les mauvais sorts ou tout simplement les forces de la nature.

Des auteurs pensent que les marques de sabot sont des représentations simplifiées à l’extrême d’une déesse, la forme étant, selon eux, un symbole de féminité.

Parfois on pense que des marques de sabots représentent la course du cheval solaire, celui qui tire le soleil. Or ici les marques partant vers le sud, nous pouvons abandonner cette hypothèse. Toujours dans le domaine astral, on trouve parfois la symbolique de la constellation des Pléiades.

Dans certaines régions ces traces servent d’indicateur de route ou de borne pour un domaine ou un champs. Toutefois dans notre cas la position en bord de falaise rend cette hypothèse peu séduisante.

Il existe énormément d’autres hypothèses et nous ne sommes pas prêt de connaître avec certitude le sens de ces empreintes.


Une trace de sabot en haut du rocher


Mais qui est donc le prince Charles ?

C’est une excellente question que je me remercie d’avoir posé. Il ne s’agit bien sûr pas de savoir qui a sauté, mais bien qui est supposé avoir sauté. Et là nous sommes face à un dilemme.

Certains diront qu’il ne peut s’agir que du fameux Charles de Valois-Bourgogne dit « le téméraire ». Surnommé à son époque de « hardi » ou de « guerrier », on lui attribue évidemment moult exploits et celui-ci lui siérait bien.

Certains affirmeront que c’est évidemment Charlemagne, le puissant empereur dont d’ailleurs le cheval laissa tant et tant de traces de son passage.

Certains clameront qu’il s’agit de Charles de Vaudémont (Charles IV de Lorraine) et j’aurais tendance à opter aussi pour lui dans la série des « Charles ». Les troupes de celui-ci occupèrent la ville pendant quelques temps lors de la guerre de trente ans, jusqu’à ce que le roi de France ne l’oblige à repasser le Rhin pour regagner l’Empire.


Charles IV de Lorraine

Enfin, certains, dont Dom Calmet, affirment qu’il s’agit du duc Antoine de Lorraine dit « le bon ». Celui-ci prendra également la ville se Saverne. Il le fera pendant la guerre des paysans luthériens en 1525 au cours de laquelle il s’opposera à ces derniers. Les luthériens s’en seraient prit aux symboles de l’église (monastères, églises, reliques) et peut être faut il voir dans cette légende, si Dom Calmet ne s’est pas trompé, un hommage des vainqueurs au duc qui leur vint en aide. Mais alors comment est on passé d’Antoine à Charles. Y a-t-il eut une modification ou une confusion tardive ? Encore des questions sans réponses.


Antoine de Lorraine



Plan :

Voici le plan pour vous rendre sur la roche du Prince Charles. La première option consiste à se garer sur le parking du jardin botanique (et profiter en faire le tour). La seconde option consiste à prendre les petits sentiers qui parcours la montagne.


Légendes thématiquement proches :




Légendes géographiquement proches :




Bibliographie :

Le saut du prince Charles. Légendes d’Alsace. Gabriel Gravier. Tome 3. Pages 191-192

Lieux attachés à Charlemagne. Société Française de Mythologie. http://www.mythofrancaise.asso.fr/mythes/figures/CHlocal.htm

Le Saut du Prince Charles. Les environs de Saverne. Thierry Heitmann. http://thierry.heitmann.free.fr/environs/prince.htm

L’Alsace. Nouvelle Description. 1826. Jean-Frédéric Aufschlager. Page 280. Disponible sur Google Book.

Notice de la Lorraine 2ème édition. Augustin Calmet. 1840. Tome 2 Pages 34-36 et 312-314. Disponible sur Google Book.

Pierres Mystérieuses – Histoire – légendes – énigmes. Pierre Delactrétaz. Pages 51-52. Disponible sur Google Book.

Découverte d’une gravure de sabot de cheval de l’époque néolithique sur le rocher de grand chiron. Marcel Baudoin. Bulletin de la Société préhistorique française. Année 1909. Pages 238-260. Disponible sur Persée.

Charles IV de Lorraine. Wikipédia. http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_IV_de_Lorraine

Antoine de Lorraine. Wikipédia. http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_de_Lorraine

Notules sur l’art schématique dans l’Ardèche. Paul Bellin. Bulletin de la Société préhistorique française. Année 1961. Pages 342-346. Disponible sur Persée.


Iconographie :

Gruss vom Karlssprung. Auteur inconnu. Pris sur http://thierry.heitmann.free.fr

Charles IV duc de Lorraine. B Moncornet. Via Wikipédia.

Portrait d’Antoine le Bon, duc de Lorraine. Holbein Hans.