dimanche 27 décembre 2009

La légende de l'épouse fidèle du Bernstein


Château de Bernstein - Dambach-la-ville (67)




La légende :


La légende raconte qu’au château de Bernstein, perché sur les hauteurs de Dambach, il est possible de voir, à la nuit tombée, un bien étrange attelage. Mais pour en comprendre la raison, il faut que je vous en conte la raison.

Vivaient dans ce château, outre les gens du castel, le seigneur de Bernstein et sa femme. Celui-ci était dans un tourment permanent car il s’était persuadé que son épouse ne lui était pas fidèle. Pour en avoir le cœur net, il mit au point un stratagème. Il fit mine de partir en voyage, mais se cacha dans la forêt pour revenir au pied de la forteresse à la faveur de la nuit. Pour essayer de surprendre sa femme, il dressa une échelle qu’il avait préparé sous la fenêtre de celle-ci et commença son ascension.


Le Bernstein vu de la cour du château


Mais les préparatifs ainsi que la montée firent tant de bruits, qu’ils réveillèrent l’épouse endormie. Celle-ci affolée de la perspective de l’attaque d’un brigand donna un grand coup d’épée à l’ombre qui apparut à la fenêtre. Le seigneur de Bernstein, alla s’écraser sans vie en contrebas des hauts murs.


Les fenêtres du logis seigneurial vu de l'intérieur


De désespoir, l’épouse ne tarda pas à suivre son mari dans la tombe. Depuis cette triste date, les deux époux passent encore et toujours, lors des nuits calmes, devant le théâtre de leur malheur. Et c’est suivi par une meute de chiens hurlants que leur carrosse de cristal parcours l’ancienne voie romaine.


Le château depuis l'ancienne voie romaine. Mais pas de traces de carrosse dans la neige.



La réalité :


Le Bernstein, une histoire d’ours ?

Nous sommes au château de Bernstein dont l’origine du nom aurait très certainement trait aux ours. Le nom ancien de Bärenstein (Bär : l’ours et Stein : la roche) correspondrait à celui de Rocher aux ours. Il faut rappeler qu’il fut une époque où les ours vivaient dans la région. D’ailleurs bien des légendes nous le rappellent, comme par exemple celle de Sainte Richarde, toute proche.
On voyait d’ailleurs sur la fenêtre principale du château, la gravure d’un ours. Malheureusement cette gravure fut détruite.

Une seconde hypothèse plus savante nous conte que le nom pourrait venir du nom du fondateur qui pourrait être Béron ou Boron qui vivait au 9ème siècle. Reste que la version du plantigrade est plus poétique.




Les fascinantes fenêtres du Bernstein.

Le premier élément que l’on remarque en approchant du château par les hauteurs c'est l'étonnante série de fenêtres. A priori on pencherait pour un ajout tardif, mais des historiens les estiment au environ du 9ème siècle, c'est-à-dire dans la période de construction supposée du plus gros de l’ouvrage. C’est l’utilisation du plein cintre qui trahit l’âge vénérable de ces baies pourtant en si bon état. Toutefois, d’autres sources nous indiquent que le château aurait pu être détruit et reconstruit au 12ème.


Les fenêtres du logis seigneurial (au fond ?) et les corbeaux permettant de poser les poutres de l'étage.


Ces ouvertures correspondent au corps de logis seigneurial, adossé au donjon pentagonal. On en voit de deux sortes, dont des grandes du coté de l'entrée. Il s’agit donc des fenêtres de notre légende. Et à les regarder il aurait été tout à fait possible d’y accéder via une échelle. C’est d’ailleurs ce qui peut surprendre pour un château ayant connu différents sièges.
En contrebas de ces fenêtres se trouve un dénivelé rocheux qui vient provient certainement de l’extraction des pierres qui servirent à ériger le castel.


Quelqu'un voit-il des restes du seigneur sur les rochers ?


Un début de légende qui pourrait être vrai…

Je ne parle bien sûr là que de la première partie du récit. Nous sommes encore confronté à une légende qui pourrait être en fait une histoire vraie. Si je n’ai pas réussi à trouver dans les chroniques, de trace du fait, cela ne veut pas dire qu’il ne se soit pas déroulé.

Toutefois, la mort de la veuve me fait pencher vers le coté légendaire ou au moins vers une« histoire romancée ». Elle est vraiment dans l’esprit des romans de chevalerie ou dans celui du, beaucoup plus tardif, romantisme.
De plus le stratagème du seigneur fait doucement sourire. Surtout qu’il existe une poterne du coté nord, qui aurait permis de rentrer dans le château avec une relative discrétion.
Si vous voulez connaître la liste des différents seigneurs de ce château, je vous renvoie à la bibliographie où vous trouverez des listes plus ou moins exhaustives.




Mais on ne pourra à priori jamais savoir ce qu’il en ait vraiment. Sans compter que l’histoire pourrait découler par exemple de l’un des sièges que connut la forteresse aux grandes fenêtres. Quoi qu’il en soit, la postérité a définitivement classé l’histoire dans la catégorie des légendes.


… mais une fin fantastique.

La fin, elle, ne laisse aucun doute sur l’aspect légendaire. Nous remarquerons que non seulement le mari est puni pour son acte, mais que la dame du château également. La légende se termine à la manière d’une « chasse fantastique », dont le thème est très populaire et que nous avons déjà vu (et que nous reverrons encore). Le couple est condamné a passer et repasser encore sur les lieux de leur péché. La meute de chien ne laisse pas de doute sur la notion de chasse fantastique alors que l’on aurait pu attendre plutôt une histoire de dame blanche. S’agit-il d’une modification de la légende d’origine ou de la confusion avec une seconde ?





Plan :

Voici le plan pour vous rendre au château de Bernstein. Vous pouvez partir de Dammach-la-ville (attention, il existe un autre Dambach) et grimper en passant par la chapelle Saint Sébastien. Mais si vous avez le temps, je vous conseille de faire le tour de la montagne pour admirer les châteaux de Ramstein et de l’Ortenbourg.


Légendes thématiquement proches :




Légendes géographiquement proches :




Bibliographie :


Légendes d’Alsace. Gabriel Gravier. Tome III. Pages 118-119.

Notice sur le Château de Bernstein. Felix de Dartein. Bulletin de la Société pour la conservation des monuments historiques d’Alsace. 1857. Pages 29-42

Kastel Elsass : Bernstein : http://kastel.elsass.free.fr/chateaux/bernstein.htm

Château du Berstein. Wikipédia. http://fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%A2teau_du_Bernstein

dimanche 20 décembre 2009

Exposition « Graoully. Histoire d’un monstre urbain »

Musée de la cour d'or - Metz (57)



Dans le cadre de ses expositions temporaires, le musée de la Cour d’or de Metz organise un parcours autour du monstre emblématique de la ville : le Graoully.


Cliquez sur l'affiche de l'exposition pour visiter la page conçue par le musée.


Je consacrerai un article à cette légende emblématique de la cité messine d’ici quelques temps. Sachez juste que le Graoully est un ajout tardif à la légende de Saint-Clément, premier évêque de la ville. Dans cette version, le saint enserre le dragon malfaisant dans son étole pour aller le noyer dans la Seille, une des deux rivières de la ville. Dans sa mouture primitive, il était juste question de serpents, mais comme vous le savez, tout augmente…


Ne pas oublier de sortir le Graoully de temps en temps


Vous pourrez aller frémir devant le Graoully du 9 décembre 2009 au 8 Mars 2010 et assister à différents événements autour de l’exposition durant cette période. Au nombre des animations on compte bien sûr une visite guidée par le commissaire de l’exposition, mais aussi un concert, un spectacle et des contes, une conférence, ou encore des séances de pliage. Le programme complet est bien sûr disponible sur le site du musée.
Attention, la plupart des animations nécessitent une réservation préalable.

Pour l’occasion, le musée a ressorti ses trésors et s’est fait prêter peintures, estampes, sculptures, objets, etc. N’ayant pas encore eu le temps d’y faire un tour, je n’en sais pas beaucoup plus pour l’instant.

A priori, un petit guide est prévu pour le visiteur, présentant la légende, la genèse et le rayonnement du Graoully. Et le rayonnement dure encore, puisque le monstre de légende est un des symboles vivaces de la ville.


Un exemple d'utilisation actuelle : le Graoully est l'emblème de l'équipe de football de Metz.


Évidemment, il faudra en profiter pour visiter ce très très beau musée, dont l'exploration est un véritable voyage dans le temps.


Edition du 07/02/10 : J'ai enfin pris le temps de parcourir l'exposition au musée de la cour d'or. La manifestation se trouve dans la pièce destinée aux expositions temporaires. Il faudra compter environ 30 minutes pour en faire le tour complet. C'est agréable sans être sensationnel. J'aurai apprécié voir le Graoully de la cathédrale ou voir un peu plus d'œuvre.
L'exposition est à voir pour profiter du superbe musée... mais de là à ne venir que pour ça...

lundi 30 novembre 2009

Les légendes des fratricides du Haut-Barr


Châteaux du Haut-Barr et Geroldseck (Grand et Petit) - Saverne (67)



Je vous propose deux légendes du Haut-Barr ayant un thème commun : le fratricide. Les deux furent relevées dans le courant du 19ème siècle. La première légende nous est contée par Auguste Stoeber et la seconde est adaptée d’un texte d’Évariste Thévenin.



La première légende :


Les trois châteaux de Saverne étaient habités par trois frères. L’aîné, seigneur de Haut-Barr, cupide et violent désirait les biens de ses frères. Il résolut de s’en emparer.

Un jour il partit à la chasse avec son cadet ; ses hommes d’armes se saisirent de celui-ci et le mirent au fond d’un puits sans eau. On lui donnait un peu d’eau et de pain moisi comme nourriture. L’épouse du pauvre prisonnier se crut veuve.



Un ancien puits ? On va dire que oui... (Haut-Barr)



Cependant, le frère aîné dut partir pour combattre les infidèles. Son cuisinier se prit de pitié pour le malheureux détenu et, un jour, l’aida à s’évader, profitant de l’absence de son maître. Le soir même, le prisonnier était dans les bras de sa femme ; il était défiguré par les souffrances et le souci.

Le chevalier du Haut-Barr ne tarda pas à rentrer avec ses troupes victorieuses. Il donna le lendemain un banquet où furent invités ses amis et voisins. Au cours du repas, on parla de choses et d’autres et on en vint à parler de fratricide. Son frère, méconnaissable, lui demandant quelle peine on pourrait prononcer contre un fratricide, le seigneur du Haut-Barr répondit : « La mort par l’épée ! »

Le cadet s’écria : « Vous vous êtes jugé vous-même. »

Il tira son épée, et les seigneurs présents, qui étaient au courant, portèrent au félon des coups mortels.



Le château du Grand Geroldseck vu depuis celui du Haut-Barr.



La seconde légende :


Dans le château du Haut-Barr, deux frères se livraient une guerre perpétuelle. Personne n’en sait plus l’origine, peut être était-ce tout simplement parce qu’ils étaient frères.

L’un des deux ne vivait que pour manger, l’autre pour boire. Le gastronome était parvenu à s’emparer du buveur, et le fit enfermer dans une cage suspendue aux créneaux.

Il lui faisait donner des viandes salées tant et tant qu’il n’en pouvait manger, mais en revanche, toute boisson lui était refusée.

Le malheureux prisonnier mourut de soif et de rage.



Mourir de soif, d'accord... mais de rage ? (Grand Geroldseck)



La réalité :


Nous l’avons déjà vu, faire la différence entre une légende et un fait réel n’est pas toujours aisé, voir possible. Car ici, point d’éléments fantastiques nous plongeant à coup sûr dans l’imaginaire. Observons donc quelques éléments de ces légendes. Nous allons ici, nous intéresser principalement à la première légende.



Les châteaux et leurs propriétaires.


Il existe bien trois châteaux très proches les uns des autres. Tout d’abord, le Haut-Barr, lieu de la légende, ainsi que le Grand Geroldseck et le Petit Geroldseck. Les deux châteaux de Geroldseck furent, comme leurs noms l’indiquent, construis par la famille de Geroldseck, et leurs ont donc appartenu pendant un temps.


Mais pour le Haut Barr, c’est plus compliqué. Les plus anciennes traces indiquent qu’il appartient à l’évêque de Strasbourg. Celui-ci va le confier tout d’abord à Merboto de Borre, puis la bâtisse changera des mains selon le bon vouloir de l’évêque. A partir du 13ème siècle, la forteresse épiscopale va même être confiée à plusieurs nobles en même temps, afin d’éviter la main mise d’un seigneur unique. C’est ainsi que par exemple, en 1318, ce sont pas moins de 11 administrateurs qui gèrent le château.





Pénétrons dans le Haut-Barr



En parallèle, les Geroldseck ont la possession du château voisin. A priori, il n’y a pas de guerre larvée entre les deux châteaux. Les Geroldseck soutiennent l’évêché, à tel titre d’ailleurs que par exemple, Henri de Geroldseck sera évêque de Strasbourg en 1263.


A plusieurs moments de l’histoire, le château appartient à plusieurs frères qui gèrent ensemble le fief. Les problèmes de possession vont encore se compliquer quand l’héritage du château ne sera plus entièrement masculin, mais que les femmes pourront également prétendre à leur part.





Le blason des Geroldseck. Manassas. Wikipédia.



Un deuxième château sera construit. Ce sera le Petit Geroldseck qui sera certainement destiné à loger une partie de la famille. Les deux châteaux seront finalement partiellement détruits dans le courant du 15ème après que les Geroldseck soit devenu des chevaliers-brigands.



Le Petit Geroldseck



Quelques éléments de chronologie :


Le Haut-Barr daterait du début 12ème et sera en fonction jusqu’en 1772.

Son plus proche voisin, le Grand Geroldseck aurait également était construit au début 12ème alors que le Petit Geroldseck daterait du 13ème. Comme nous l’avons dit plus haut, les deux châteaux seront détruits en 1471, car les forteresses étaient devenues des repères de brigands.

Il y a donc bien eut cœxistence de toutes ces forteresses.


La première légende nous parle d’un seigneur revenant de croisade. Il est tout à fait possible qu’un des seigneurs gérant le Haut Barr pour l’évêché ou un membre de la famille des Geroldseck soit parti pour la Terre Sainte. Il est même possible qu’il en soit revenu victorieux car les dates pourraient coïncider. Il y a toutefois peu de chance qu’il en soit revenu rapidement. Et dans ce cas on comprend que le pauvre frère de la légende ait eut le temps de bien changer.


Le donjon du Grand Geroldseck



Et alors ?


Et alors ? Mythe ou réalité ? Il n’est évidemment pas possible de trancher, mais l’on peut noter quelques éléments.


Tout d’abord, trois frères ne possédèrent pas les trois châteaux. Le Haut-Barr dépendait de l’évêché de Strasbourg qui le plaça au bout d’un moment aux mains de plusieurs nobles. Les légendes sont peut être là, notamment la seconde, pour rappeler des difficultés de co-gérance entre les différents seigneurs. La légende fait elle état d’un rixe qui aurait pu exister ?


Le puits des deux frères ? (Grand Geroldseck)



Il y eut bien des frères sur la montagne, mais ceux-ci occupèrent les deux autres châteaux et non pas le Haut-Barr. La légende provient elle d’un événement qui se serait dérouler dans la famille Geroldseck ? Elle aurait pu migrer par la suite jusqu’au troisième château. Comme dans toute famille, il peut exister des tensions, notamment quand, comme ce fut le cas, plusieurs frères gèrent ensemble le même fief.



Le Haut-Barr


Dans le texte entourant la seconde légende, Evariste Thévenin, explique que le château qui porte la légende du « mangeur et du buveur » fut détruit et qu’il en est fort heureux. Sauf que le Haut-Barr ne fut pas détruit. Ce sont les deux autres châteaux qui le furent. Il y a certainement confusion parmi les châteaux visités. J’ai toutefois laissé l’emplacement originel, n’ayant pas trouvé d’autres sources de cette légende, mais il y a du coup des chances que la légende porte sur un des Geroldseck, d’autant plus que, comme nous l’avons vu, ce sont ces châteaux qui hébergèrent plusieurs frères.




Le Grand Geroldseck


Mon sentiment est que les deux légendes furent, toutes deux, nées sur le Grand Geroldseck. Tout d'abord parce que c'est là que l'on trouve la cohabitation de plusieurs membres de la famille. Ensuite parce que le Haut-Barr appartenant à l'église, il est peu probable qu'une telle légende ait pu se développer dans le temps de la toute puissance de l'institution. Enfin, parce que les légendes pourraient bien être liées au déclin de la famille, passant de famille puissante à brigands. On peut imaginer, par exemple, que les légendes puissent avoir vu le jour, justement pendant ou après la guerre menée contre eux.

Le temps ou les erreurs les aurait transporté par la suite sur le Haut-Barr, château bien visible depuis Saverne et emblématique de la ville.



Plan :


Voici le plan pour vous rendre au Haut-Barr et au château du Grand Geroldseck. Il y a beaucoup de belles randonnées à faire dans le secteur, notamment en partant depuis le Haut-Barr.


Légendes thématiquement proches :




Légendes géographiquement proches :



Bibliographie :


Le Fratricide. Contes et Légendes d’Alsace. Auguste Stoeber. 163-164.


En Vacance : Alsace - Vosges. Evariste Thévenin. 1865. Pages 156-157. Via Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k102409c.image.r=haut+barr+l%C3%A9gende.f152.langFR.tableDesMatieres


Grand Geroldseck, Petit Geroldseck et Haut-Barr sur Kastel Elsass. http://kastel.elsass.free.fr/index.htm

Ma référence en ligne pour l'histoire des châteaux alsaciens.


Idem sur Wikipédia.




lundi 23 novembre 2009

La légende de Sigebert et du Mont Saint Blaise


Fort SaintBlaise - Augny (57)



Le texte que je vous propose est issu du "Dictionnaire des Traditions Populaires Messines" du docteur de Westphalen. Je vous le livre tel quel.


La légende :


Le bon roi Sigisbert, modèle de sagesse et de bravoure, venait d’épouser la belle princesse Brunehilde (Brunehaut). Tous les seigneurs de son royaume furent invités à prendre part aux fêtes qui se donnèrent durant quarante jours en sa ville royale de Metz. Il y vint nobles gaulois, polis et insinuants ; des nobles germains habillés de fourrures et aussi rudes de manière que d’aspect.


Les festins furent splendides, les tables étaient couvertes de plats d’or et d’argent, fruits de la conquête ; des sangliers et des daims entiers étaient servis tout embrochés ; le vin et la bière puisés dans les tonneaux défoncés, coulaient sans interruption dans des coupes de jaspes ou des cornes de buffle à rebord d’argent. Aux plaisirs de la table succédèrent les plaisirs de la chasse dans les vastes forêts qui environnaient alors la capitale d’Austrasie.



Bertuzzi Nicola : le festin de Balthasar



A l’une de ces royales chasses, le cheval de Sigisbert fut emporté par un pouvoir surnaturel, et entraîné loin de ses leudes à la poursuite d’un cerf gigantesque qui, après mille détours, s’évanouit comme une grande ombre à travers d’épais buissons ; un homme hideux en sortit, s’inclina devant le roi des Francs, le supplia d’être sans alarmes, car j’ai mandat, ajouta t’il, de vous faire connaître des choses surprenantes, si vous avez le courage de m’accompagner au château qui vous apercevez sur cette haute montagne.



Heures à l'usage de Tours ou de Bourges



La peur m’est inconnue, répliqua Sigisbert, je ne pourrai l’éprouver que par la chute du ciel. Arrivés à la poterne, des valets silencieux s’emparèrent du cheval du prince ; d’autres l’introduisirent dans une vaste salle, où il vit un auguste personnage et ses soldurii assis en silence à un somptueux festin.

Après en avoir longtemps admiré la superbe ordonnance, les magnifiques vases d’or et d’argent, la profusion des viandes et de venaison placées devant les convives, il prit congé de la morne assemblée sans qu’elle eût paru remarquer sa présence. Son guide mystérieux le reconduisit jusqu’au bas de la montagne et lui apprit que l’auguste personnage qu’il venait de quitter était son illustre aïeul, le grand Clovis, premier roi chrétien, il est vrai, mais oppresseur de ses sujets dans les dernières années de sa vie.



DEJUINNE François Louis - Clovis 1er, Roi des Francs



Ceux que vous avez remarqués autour de lui, ajouta t’il, sont les complices de ses exactions, condamnés comme lui à les expier par de longues et cruelles pénitences ; aujourd’hui c’est celle du silence ; dans un moment, ce sera celle du feu. O roi ! que le souvenir de ce jour se grave à jamais dans votre mémoire et vous garde des erreurs de votre noble ancêtre ; songez que tous les hommes sont égaux devant Dieu et jugés selon leurs œuvres.



Le chemin menant au sommet du mont



A ces mots, le fantôme disparut, le château fut foudroyé, et les échos répétèrent de longs et sourds gémissement. De retour à Metz, le roi manda un pieu solitaire du nom de Blaise, et par son conseil fit élever un monastère sur la montagne de l’apparition ; il en confia la direction au célèbre cénobite, et lui en concéda les coteaux environnants.


Blaise venait d’atteindre sa centième année, et achevait de célébrer le saint sacrifice de la messe, lorsqu’une musique céleste se fit entendre : la voûte de l’église s’ouvrit, et les assistants virent Clovis entouré de ses fidèles, monter vers le ciel tout rayonnant de gloire.

Ce fut aussi le dernier jour de saint Blaise : sa mission sur terre était accomplie.



Le fort Saint Blaise




La réalité :



Sigisberg et le cerf.


Comme dans de très nombreuses légendes, un cerf apparaît au chasseur. Et comme dans la plupart des légendes, il le suit. Parfois heureux présage, parfois signe d’un funeste avenir, le cerf semble avoir la fonction de destin. Et ce destin est rarement rattrapable ou alors dans la mort du protagoniste. En effet le cervidé n’a pas comme fonction d’être rattrapé, mais simplement d’être suivi dans une course toujours longue et difficile… parfois éternelle comme dans les chasses fantastiques.





Ici, le roi Sigisberg suit le doigt de Dieu pour recevoir un avertissement sur la conduite à tenir. Il n’aurait d’ailleurs pas était étonnant que le cerf soit blanc, couleur fréquente pour symboliser la présence divine dans la légende.



Sigebert Ier d'après le Recueil des rois de France



L’abbaye du mont Saint Blaise où l’histoire d’une étonnante reconversion.


Ne cherchez pas de monastère il fut remplacé par un château. Ne cherchez pas non plus de château il fut remplacé par un fort. De même, ne cherchez pas de fort… l’entrée est (théoriquement) interdite. Les lieux connurent donc des usages variés sans compter les occupations plus anciennes. Le recyclage de la pierre prouva que les romains y avaient bâti un bâtiment d’importante envergure.



Le fronton du fort



En 566 aurait été construit le monastère, par Saint Blaise lui-même, selon la légende, et il aurait était en fonction jusqu’en 740, date où Charles Martel donne les lieux au comte Heldevigh. On dit que les moines expulsés appelèrent sur lui et ses successeurs, une punition divine, et lui prédirent que ce bien usurpé ne passerait jamais à la quatrième génération. Toujours est-il qu’une forteresse prit lieu et place de l’ancienne abbaye. Celui-ci possédait notamment un impressionnant donjon de 4 étages. Le tout était entouré de fossés. Les chroniqueurs (religieux, évidemment) racontent que conformément à la prédiction, le château connu moult propriétaires dont aucun ne prospéra. Par la suite, les ducs de Lorraine se servirent du mont Saint Blaise pour y maintenir leurs troupes. En 1809, le donjon fut détruit pour construire une ferme avec ses pierres.



Les fossés du fort



Le mont Saint Blaise retrouva une fonction religieuse grâce à la présence d’une chapelle qui attirait à elle les pèlerins. Elle dût exister jusque vers la fin du 18ème. Une statue se Saint Blaise y était vénérée. Lors de la destruction de la chapelle elle fut placée dans un jardin par un des habitants.

Le 9 Mai 1899, l’empereur Guillaume II pose ma première pierre du fort Saint Blaise, que l’on trouve encore aujourd’hui.



Saint Blaise à l’origine du monastère ?


La réponse est évidemment non.

Tout d’abord parce que Blaise vécu en Arménie mineure et ensuite parce qu’il vécut fin IIIème début IVème siècle. Il fut évêque de Baste. Si le saint ne vint jamais dans l’actuelle Moselle, sa réputation, elle, y parvint en suivant l’essore des bénédictins. C’est donc tout naturellement qu’elle arriva jusqu’à Gorze, voisine du Mont Saint Blaise. Il doit popularité au fait qu’il était considéré comme un saint puissant, auquel on faisait souvent recours pour obtenir un miracle.


La statue de Saint Blaise anciennement présente sur le mont



On sait qu’un important bâtiment romain fut présent sur le mont et il faut garder en tête que nous sommes à peu de distance du fameux aqueduc de Jouy aux Arches. La construction pouvait elle être un temple dédié à une des divinités romaines ? C’est une hypothèse plausible vu la symbolique de l’eau dans cette religion, comme d’ailleurs dans beaucoup d’autres. Si c’est le cas, il aurait été tout naturel que les lieux soient christianisés en opérant un « recyclage ». Le temps passant une christianisation sommaire aurait pu déboucher sur la création d’un monastère. Donc point de Saint Blaise sur ce mont. A noter que l’on trouve des reliques de saint Blaise dans l’église Saint Eucaire dans la toute proche ville de Metz.



Le bas du fort



Plan :


Voici le plan pour vous rendre au Mont Saint Blaise. Attention, il s'agit d'un terrain militaire, il est donc interdit d'y pénétrer.



Légendes thématiquement proches :





Légendes géographiquement proches :





Bibliographie :


Chatel Saint Blaise et l’Aqueduc Romain. Victor Simon. L’Austrasie. 1839. Volume 5. Pages 325-339.

http://books.google.fr/books?id=76BMAAAAMAAJ&pg=PA329&dq=chatel+saint+blaise+l%C3%A9gende&lr=&as_brr=3#v=onepage&q=&f=false


A plus hault sens : l’ésotérisme spirituel et charnel de Rabelais. Notice sur Saint Blaise Extraite du Dictionnaire de Westphalen. Volume 1. Claude Gaignebet. 1964. Pages 278-279.


La dévotion à Saint Blaise dans l’église Saint Eucaire de Metz. Christine Aubé Barbazanges.

http://lodel.irevues.inist.fr/saintjacquesinfo/index.php?id=1137


Notice de la Lorraine. Dom Calmet. 1840. Tome 1. Page 183.