La légende :
e comte Wulfoad et la comtesse Adalsinde tout deux châtelains du château de Dripion (Heudicourt), proche de Saint-Mihiel, partirent en pèlerinage sur le mont Gargano en Italie du Sud. Là, le puissant seigneur fit la promesse à Dieu de bâtir une église dédiée à Saint-Michel. Pour l’aider dans sa tâche les prêtres lui donnèrent des reliques à placer sous l’autel de la future construction. Ils revinrent donc avec des reliques de Saint-Michel et afin de déterminer l’emplacement de l’édifice, Wulfoad confia les saintes reliques à un chapelain qui le suivrait continuellement. Celui-ci avait comme tâche de prier et de guetter une manifestation divine indiquant le choix céleste pour l’implantation de l’église. Un jour de chasse, lors d’une halte pour prendre quelque repos sur le mont Castillon, le chapelain accrocha la bourse contenant les précieuses reliques à la branche d’un noyer. La nuit commençait à tomber et pour tous la fatigue se faisait grandement ressentir. Le groupe repartit donc en direction du château, et l’épuisement aidant, le chapelain oublia le reliquaire suspendu au noyer.
Le lendemain, de retour sur les lieux de l’oubli, il fut impossible de reprendre les reliques. Les branches semblaient fuir les mains de ceux voulant les attraper. Et même en grimpant sur le tronc, l’entreprise fut un échec. Plus on s’approchait de la bourse et plus la branche la mettait hors de portée.
A la vue du phénomène l’assemblée cria au prodige et reconnut là la volonté de Saint-Michel d’être vénéré en ces lieux. Le seigneur Wulfoad prit alors une hache et commença à couper l’arbre merveilleux pour y déposer la première pierre de l’autel. A ce moment, le reliquaire descendit de lui-même à portée de mains. Fidèle à sa promesse, le seigneur traça immédiatement l’enceinte de la basilique et les travaux commencèrent dès le lendemain.
Les racines du noyer furent conservées et de nombreux rejetons sortirent de terre traversant les murs de l’église et revêtant ainsi les murs extérieurs de rameaux verdoyants. Selon les moines, les fruits de ces noyers avaient le don de soigner les malades de toute la contrée.
Les variantes :
Il arrive de voir Wulfoad propulsé maire du palais d’Austrasie ce qui, nous le verrons, est du à une confusion avec un homonyme.
Une des principales variations porte sur l’origine du transport des reliques par le chapelain. Certaines versions y voient là uniquement une sorte de porte bonheur dont Wulfoad ne se séparait jamais.
La seconde variation importante porte sur le noyer. Je n’ai trouvé qu’une version de la légende y faisant allusion. Mais cette source est suffisamment « fiable » pour que je la mentionne dans mon texte. Dans les autres versions, l’arbre est quelconque. Il va bien sûr empêcher au groupe de reprendre le reliquaire mais n’aura pas de vertus curatives comme dans notre version. En général, Wulfoad n’a pas besoin de prendre de hache pour pouvoir mettre la main sur les reliques. Il lui suffit de promettre de construire le saint édifice pour que la bourse tombe à ses pieds.
La réalité :
Nombreuses sont les légendes où un fait miraculeux détermine la position d’une abbaye ou d’une chapelle. Nous avions déjà vu à quelques kilomètres de là, ce qu’il advint des reliques de Saint Paul. Il existe une légende directement inspirée de la légende de l'abbaye de Saint-Mihiel qui se déroule beaucoup plus loin, mais qui fait également intervenir Saint-Michel.
En route pour le mont Saint-Michel, un pèlerin désireux de faire honorer une relique, apporte un peu de lait de la vierge. Se reposant en chemin, il accroche son sac à une aubépine. A son réveil, l’arbuste à tellement grandit qu’il ne peut plus atteindre son précieux chargement. Pour le pèlerin le signe est indiscutable, la relique veut rester ici. La population du village d’Aurion, où se déroule le miracle fait venir sur place l’évêque. Une fois devant l’arbre, l’évêque promet de faire construire un sanctuaire dédié au culte de la Vierge. Aussitôt dit, l’aubépine se courbe pour permettre à l’évêque de reprendre la sainte relique.
La similitude entre les légendes est assez étonnante et l’influence de l’une sur l’autre flagrante.
Et pour preuve que les légendes ont tendances à bien voyager, voici une troisième version. La ressemblance est encore plus grande quand on sait que Wolfang est une autre orthographe de Wulfoad.
Saint-Morand obtint de Chilpéric II la permission de se rendre à Rome. Celui-ci passa par Reims où on lui donna quelques reliques des vêtements de Saint-Rémi. L’évêque Morand confia le reliquaire à Wolfang, son chapelain, qui, près du mont Bardon, au passage des Alpes, le laissa suspendu à un arbre. Evidemment il fut impossible de le reprendre sans promettre d’y construire là une église.
L’abbaye Saint-Michel :
Comme nous l’avons vu dans la légende des dames de Meuse, l’abbaye fut très influente et est notamment à l’origine du nom de la ville de Saint-Mihiel. Le bâtiment était constitué de trois églises. La première église était celle du couvent. Elle fut évidemment dédiée à Saint-Michel. La seconde église était dédiée à la Vierge et réservée à la comtesse. La troisième église fut placée sous l’invocation de Saint-Martin, de Saint-Pierre et de Saint-Paul. Celle-ci était celle du comte. L’abbaye fut bâtie au lieu-dit « Le Castillon », semblerait-il dans l’enceinte même de la forteresse de Wulfoad. Aujourd’hui sur les lieux de la légende se trouve la ferme Saint-Christophe.
La date de la fondation de l’abbaye varie selon les sources.
Une chronique de l’abbaye de Saint-Mihiel voit sa fondation en 709, mais nous verrons que cette date est contestée. En 755 (ou 756) l’abbaye change de mains. Pour punir Wulfoad de la prise d’arme contre son lui, Pépin le Bref cède l’abbaye aux moines de Saint-Denis. Un peu plus tard, au cours du IXème siècle, le très influent abbé Smaragde fait transférer l’abbaye du mont Castillon vers les bords de Meuse. Autour de cette abbaye, une ville va prospérer, c’est l’actuelle Saint-Mihiel, contraction de Saint-Michel. En 884 Charles-le-Chauve révoque la donation faite aux moines de Saint-Denis qui retrouve alors son autonomie. L’abbaye va prospérer tant sur le plan financier que sur le plan intellectuel, mais la tornade de la révolution mettra brusquement fin à l’histoire des abbés de Saint-Mihiel.
La date exacte de la fondation de l’abbaye est soumise à caution. En effet une seconde source contredit la première et voit sa fondation entre 755 et 772 suite à la confiscation des terres de Wulfoad par Pépin-le-Bref. Nous ne retiendrons pas cette date car nous avons vu qu’en 755 l’abbaye existe déjà (en tout cas si l’on en croit les autres sources d’informations). On trouve également parfois implicitement mentionner les années 730, qui correspond à une période possible pour la fondation de l’abbaye.
D’autres sources moins fiables placent la fondation de l’abbaye en 660. En fait nous allons voir qu’il s’agit là d’une erreur.
Wulfoad : Un Wulfoad peut en cacher un autre.
Certains textes rattachent la légende à Wulfoad, maire du palais d’Austrasie de 656 à 661 et de Neustrie de 673 à 675. Bien que ce soit à lui que l’on pense immédiatement, ce n’est pas lui qui intervient dans la légende. Mais voila pourquoi des sources ont placé la fondation de l’abbaye en 660.
En fait le Wulfoad qui nous intéresse est bien moins connu, mais est aussi Austrasien. On trouve plusieurs orthographes possibles : Wulfoad, Wulfoade, Vulfoad et encore Wolfang. Celui-ci fut bien seigneur dans la Meuse. Il avait la forteresse du Castillon, une butte près de Saint-Mihiel, là même où se déroule la légende.
On ne sait pas grand-chose sur ce seigneur, sinon qu’il était très puissant. Son père, Sislarame, était un des plus riche seigneur de l’Est. Il eut bien pour femme Adalsinde dont la famille possédait également un rang élevé. Wulfoad était donc très riche, mais il semblait également très généreux.
Mais notre bon Wulfoad fit une erreur stratégique qui précipita sa fin. Il arma discrètement (mais pas assez) son château qui dominait la Meuse, en prévision, semble t’il, de servir de camp retranché aux adversaires de la domination de Pépin le Bref. Pépin le fit arrêter et le fit juger. Sa peine : la mort et la confiscation de tous ses biens, dont sa forteresse du Castillon et bien sûr son abbaye qui revint aux monastère de Saint-Denis. Fulrad, le futur saint, réussira à obtenir la clémence de Pépin-le-Bref, qui épargnera finalement la vie de Wulfoad. On ne sait trop comment l’homme finira sa vie, mais il semblerait que des fouilles dans l’ancienne abbaye permirent d’y retrouver son corps.
Plan :
Légendes thématiquement proches :
Légendes géographiquement proches :
Bibliographie :
Histoire ecclésiastique de la province de Trèves. Clouet. 1851. Pages 52-68.
En passant par la Lorraine : la jeunesse d’Emile Guérin entre 1892 et 1916. http://gjgg.free.fr/priv/guerr14_18/chap10.htm
Histoire des villes de France : Saint-Mihiel. Aristide Guilbert. 1845. Pages 612-614.
La légende de la fondation de l'abbaye d'Evron. Académie de Nantes / Jackie Poussin.
http://www.ac-nantes.fr:8080/peda/disc/histgeo/territoi/53/basiliq/legend.htm
Fulrad. Wikipédia. http://fr.wikipedia.org/wiki/Fulrad
France Pittoresque. Abel Hugo. 1835. Page 253.
Wulfoald. Wikipédia. http://fr.wikipedia.org/wiki/Wulfoald. (Il s’agit du maire du palais d’Austrasie).
Histoire du royaume mérovingien d’Austrasie. Alexandre Huguenin. 1862. Pages 596-599.
7 commentaires:
Encore une légende sacrément bien documentée.
Ca doit te prendre un temps énorme de rédiger tout ça !
Merci :)
C'est pour ça que la fréquence de mise à jour est ce qu'elle est.
Mais je pense que tu rencontres le même problème, surtout quand l'information est ancienne. Il devient alors dur d'avoir deux sources qui coïncident. Il devient d'ailleurs même tout simplement dur d'avoir une information. Mais quel plaisir de ressusciter ces vieux personnages.
Oui, Therion... C'est un plaisir que de découvrir des personnages dont on ne parle presque plus et qui, pourtant ont leur histoire dans la région...
Tiens, un menhir à proximité ?
Le dolmen se trouve à 1 km au Nord de la ferme Saint Christophe. C'est balisé depuis la fontaine des Carmes (mais c'est plus loin ;) )
Je vais essayer de te mettre le lien vers Geoportail, avec une jolie carte.
http://www.geoportail.fr/5069711/visu2D/afficher-en-2d.htm?cg=djoxLjEqYzptZXRyb3BvbGUqY3Y6MS4wKnZ2OjEuMSp4eTo1LjYwNTg3ODAyMDM4NDc0OXw0OC44OTU4MzI2ODc1NjY1KnM6OCpwdjoxLjAqcDpleHBsb3JhdGlvbipsOlBob3RvfDF8MHwwLFNjYW58MXwxMDB8Mg%3D%3D
J'avais fait un p'tit topo sur le forum "Trekking en Meuse" par là : http://meuse.xooit.com/t1354-La-damechonne.htm
C'est un dolmen qui possède différentes indications en Allemand, de nature religieuse si mes trois mots d'allemand ne me trahissent pas. Elle aurait pu également servir de pierre de fécondité, c'est à dire de pierre sur laquelle les femmes se frottaient pour lutter contre la stérilité.
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BvbGUqY3Y6MS4wKnZ2OjEuMSp4eTo1LjYwNTg
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Comme blogspot m'a mangé mon lien je le remet il faudra tout copier à la suite dans la barre d'adresse du navigateur. On tout simplement aller sur Geoportail, se mettre en mode exploration, puis chercher Saint-Mihiel. Il n'y a ensuite plus qu'a viser quelques kilomètres à l'est.
Merci Therion pour le lien ! Malheureusement, je ne peux aller sur "Trekking en Meuse" car il faut s'inscrire et en ce moment, je n'ai guère de temps à moi...
Quant à Geoportail, j'ai conservé précieusement les indications !! Vivement les congés pour m'y rendre !!
Charles le Chauve est mort en 877. Il n'a donc pas pu révoquer la donation de Saint-Mihiel à l'abbaye de Saint-Denis en 884.
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