jeudi 20 mars 2008

[Conte] Les Peutones

Moselle (57)


Le conte :

u cœur de la forêt, des volutes bleues s’élevaient lentement de plusieurs meules à charbon. Chan Colas, charbonnier depuis de nombreuses années, faisait le tour des ses fours pour suivre l’avancement de la combustion. La routine anesthésiait son esprit. Il s’assit sur un fagot et regarda pensivement monter la fumée. Il n’avait pas toujours était charbonnier, mais il avait toujours travaillé dur. Une vie simple et austère fait de travaux dans les champs, de repas simples et frugales et de privations. Mais il y avait le violon.


Le violon était la raison de vivre de Chan. La passion de la musique l’animait et se transmettait aux danseurs et à leurs cavalières dès que l’âme du violon se mettait à vibrer. Perché sur l’estrade, il était le roi de la fête et on venait de loin pour l’entendre et danser le quadrille dans les bals de villages. Les plus jeunes partaient dans des danses endiablées tandis que les plus anciens écoutaient le violoneux, les yeux embués de souvenirs. Oh, ce n’était pas de la musique savante, mais elle savait toucher directement le cœur de son auditoire.


Mais le vent du changement se transforma en bourrasque pour Chan. Au fur et à mesure la mode venant de la capitale remplaça les quadrilles de notre violoneux par d’autres danses. On commença à faire moins souvent appel au musicien qui dut travailler dans les champs même le dimanche pour pouvoir nourrir sa famille. Il était maintenant charbonnier, et de violon il n’avait plus.

Il en était là dans ses pensées quand, soudain, une vingtaine de petits êtres avec de longs visages contournés, des petites jambes arquées l’entourèrent. Ils portaient des vêtements bariolés et des capuches pointues coiffaient de grandes chevelures rouges. « Bonjour Chan ! » « Bonjour Colas ». Et tous de vouloir serrer la main de Chan. « Mais ce sont des Peutones rouge des bois » se dit le Charbonnier croyant rêver. Tout en leur serrant la main à tous, il repensa à ce que les anciens racontaient sur eux. On leur attribuait entre autre le fait d’être fantasques et drôles.

Bien que surpris Chan proposa aux Peutones l’hospitalité. Il avait des pommes de terre bien chaudes sous la cendre de ses meules à charbon, des fruits dans sa cabane et il pouvait confectionner des lits de feuilles comme le sien. Mais ce n’était pas se qu’attendaient les petits êtres. Un d’eux s’adressa au charbonnier : « Chan Colas, s’il te plait, fais nous danser au son de ton violon ». Et tous de reprendre d’un ton joyeux « Joue pour nous de ton violon, fais nous danser toute la nuit ! ». Chan fut étonné de cette demande. Voila bien longtemps que l’on ne lui avait pas demandé de prendre son violon. Le vieil homme était ému et fier, mais dut répondre tristement. « C’est avec grand plaisir que je vous aurai fait danser, mais je n’ai malheureusement plus de violon. »

Alors qu’il finissait sa phrase, il vit un des Peutones venir à lui avec un des plus beaux violons qu’il n’eut jamais vu. Il le prit avec empressement et attaqua immédiatement un quadrille. Les petits êtres se mirent immédiatement en formation et dansèrent avec une joie évidente. Chan se sentait revivre. Il joua avec ardeur et fougue, enchaînant sans interruption les quadrilles et autres danses. Les danseurs répondaient au son du violon par des rires, des cris et des applaudissements. On fit des danses joyeuses autour des meules fumantes alors que le violoneux chantait à tue-tête des chants de la région.

Déjà le soleil commençait à illuminer la cime des arbres et les petits hommes rouges virent tous embrasser Chan pour le remercier de cette si belle nuit.

« Merci Chan. Le violon est à toi, garde le. Et pour te remercier de nous avoir fait passer un si bon moment, nous allons te faire un cadeau. Quand tu renverseras ta meule de charbon, creuse au milieu. Tu trouveras le présent que nous te faisons. Le charbonnier accepta avec plaisir le violon et les petits êtres regagnèrent le cœur de la forêt.

Chan se mit tout de suite à l’ouvrage encore empli des mélopées de la nuit. Il travaillait comme à son habitude de manière consciencieuse, mais sans plus penser au trésor promis. Il fit basculer sa meule, étala les charbons pour les laisser refroidir puis, après quelques heures, mit le tout dans de grands sacs. Par acquis de conscience il creusa tout de même au milieu de la meule. Et c’est tout tremblant qu’il trouva une petite caisse avec ces quelques mots sur le couvercle : « Don des Peutones à leur ami le violoneux. »

Chan Colas devint riche, mais son caractère conserva cette générosité et cette amabilité qui l’avaient toujours caractérisé. Il offrait toujours ses services avec plaisir et aidait au besoin les plus nécessiteux. Une chose changea toutefois, il se fit construire une maison en bordure de la forêt. A ceux qui lui demandaient pourquoi ce lieu, il répondait systématiquement que c’était pour ne pas déranger les voisins avec son violon. Mais si quelqu’un avait pu sonder son âme il aurait su que la réalité était autre. Il habitait là pour montrer sa reconnaissance aux Peutones. Le soir, alors qu’il jouait du violon devant chez lui, il aimait à espérer que de petits êtres au capuchon pointu, puissent profiter de sa musique pour s’amuser dans des danses endiablées.



La réalité :

Ce texte est basé sur la version de Désiré Ferry qui parut dans « Le pays Lorrain » en 1905. Vous pouvez retrouver le texte original autrement mieux écrit sur le site

. Vous en trouverez une autre version mais à priori basée sur le même texte par là.

Nous voila au prise avec des Peutones, étranges petits personnages au capuchon pointu, aux cheveux rouges, et aux vêtements bariolés. Si le terme en lui-même est assez inhabituel on a évidemment à faire à des lutins. Je n’ai trouvé aucune trace de ce terme, ni en français, ni en allemand, ni en platt. Peut-être faut-il voir la transformation de nuton (en wallon) ou nuilton (en ancien français).

Chan Colas c’est bien sûr Jean Nicolas, un nom on ne peut plus passe-partout. Le tout est mit à la sauce mosellane. Il s’agit surtout de noms génériques dans les contes lorrains. Les Colas, Nicolas, Jean, Chan, ect… sont les héros de nombres d’histoires où ils sont parfois admirables mais le plus souvent moqués.

J’avais projeté de vous raconter la méthode de production du charbon, mais je vais plutôt vous envoyer vers ce document exceptionnel où vous comprendrez tout en 60 photos. Simplement, pour bien comprendre le conte il faut savoir que le métier de charbonnier est un métier dur, et solitaire. Le charbonnier va devoir veiller sur sa meule pendant plusieurs jours pour contrôler la combustion du bois en bouchant ou débouchant des évents qu’il aura fait. Au cours de ces quelques jours il lui faudra charrier des quantités importantes de bois puis de charbon. Il lui faudra affronter la chaleur de la meule, et le froid de la forêt. Et surtout il lui faudra inhaler et s’imprégner beaucoup de fumée. Ceux qui ont déjà fait des feux de bois imaginent à quel point on peut sentir un charbonnier de loin. Je vous laisse donc imaginer l’odeur de Chan.


Je ne sais pas exactement comment était considéré le métier de charbonnier il y a quelques décennies, mais le conte nous montre assez clairement une opposition. D’un coté on a tout le coté « clinquant » du violoneux dans la fête de village, métier fait de fêtes et de monde. De l’autre la déchéance du passage au stade de charbonnier, métier pénible et retiré. L’apparition des Peutones au charbonnier, être en bas de l’échelle sociale, et même d’ailleurs descendu peu à peu en bas de l’échelle sociale, renforce le caractère moral du conte.


Légendes thématiquement proches :


Bibliographie :

Les Peutones. Désiré Ferry. Société d'archéologie lorraine. Le Pays lorrain. 1905. Année 2. p174-176.

Les contes de Roro. http://roroetfrancine.spaces.live.com/blog/cns!6FE42B7157AE999E!1032

Lutin. Wikipédia. http://fr.wikipedia.org/wiki/Lutin

Vocabulaire de Wallonie usité pour désigner les phénoménes karstiques. Francis Polrot.

http://www.speleo.be/ubs/dossier/vocawal/lexique6.htm


Iconographie :

Paysage au charbonnier, l’hiver. Jules Bastien-Lepage.

Danse de Noces. Brueghel de Velours.

Nisse (gnome). Jean-noël Lafargue.

Meule de charbonnier dans la forêt. Ramassage des cendres. Yvonne Jean-Haffen.

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Salut Therion,
J'aimerais que tu réagisses à mon article d'aujourd'hui : "ce devait être la der des ders" sur la guerre de 14-18. Il m'a été inspité par la disparition du dernier poilu.
Merci de ta participation,
Gros bisous et bonnes fêtes de Pâques,
Nadine

Therion a dit…

Arg... pour l'instant le serveur de ton site ne semble pas fonctionner. Je vais réessayer plus tard.

Bertaga a dit…

Des Peutones ? Bah merdalors, jamais entendu parlé de ces lutins.
En tout cas c'est une très bonne idée d'avoir utilisé cette peinture de Jules Bastien Lepage pour illustrer le métier de charbonnier. Ce tableau m'avait interpellé lors de l'expo Bastien Lepage à Verdun.

Mélusine a dit…

En Lorraine, on parle souvent de ces petits bonhommes qui dansent et jouent de la musique jusqu'à en faire mourir leurs invités !! Gare à celui qui commence une danse endiablé avec eux !! Mais d'un autre coté, ils savent récompenser ceux qui leur apporte un peu de joie et notamment les charbonniers... j'ai du en parler dans mon blog mais je ne retrouve plus où je l'ai mis ! GGGRRRR...
Bisous

Therion a dit…

Pour Bertaga : Lors de l'expo à Verdun j'avais vraiment aimé cet œuvre complètement en décalage avec le reste de la production de l'artiste.

Pour Mélusine : Qu'il est loin le temps où l'aventure était au coin du bois... Ce qui est fascinant c'est de se dire que fut un temps, la plupart des villageois ne remettaient pas un instant en doute l'existence de tels êtres.

Anonyme a dit…

Bonjour,
merci pour ce conte (j'en suis friande..!)? Et si les villageois ne remettaient pas en cause l'existence de ces êtres, c'est peut-être tt simplement parce qu'ils les voyaient vraiment, non ? On peut voir parce qu'on y croit... ce à quoi on ne croit pas nous est invisible !

Therion a dit…

C'est une excellente remarque qui pourrait augurer d'un long débat instructif et passionnant.

Je suis effectivement persuadé que beaucoup voyaient tout un bestiaire qui nous échappe aujourd'hui. De là à dire qu'il existe je laisse à chacun le soin de le déterminer, mais ce n'est toutefois pas une opinion que je partage.
En parcourant de nombreux textes de légendes on tombe sur des récits produits par des auteurs qui assurent avoir vu tel ou tel étrangeté. Et je suis effectivement sûr que souvent ils l'ont décrit en toute bonne foi... mais existe t'elle vraiment, c'est là un autre débat.

Car si on passe souvent à coté de ce que l'on ne veut pas voir, on peut aussi voir ce que l'on souhaite ou pense voir.

Anonyme a dit…

Je passe ici venant de chez Bertaga, où tu as mis un commentaire... Je trouve ce conte très émouvant, et tu l'illustres fort bien. Je reviendrai sur ton site.... seul problème: les journées n'ont que 24 heures et c'est parfois dur de s'arracher à d'aussi jolies lectures...

Therion a dit…

Merci beaucoup.

Si seulement on pouvait arrêter le temps....

Anonyme a dit…

Bonjour Therion,
en réponse à "Car si on passe souvent à coté de ce que l'on ne veut pas voir, on peut aussi voir ce que l'on souhaite ou pense voir", je suis en partie d'accord avec toi..
car notre esprit et notre capacité à imaginer sont si puissants que tout est possible.
Cependant, je nuancerai : Tout ce qu'on "imagine" existe forcément quelque part, non ? Donc, ce qu'on "croit" voir, n'est peut-être pas là à un moment X, mais cela existe réellement, quelque part, à un moment donné..
Des impressions fugitives, du passé ou du futur (allez savoir !)mais tout cela existe, et qu'on y croit ou pas ne change rien. L'essentiel est que cela soit utile.