Saut de la pucelle - Colline de Sion-Vaudémont (54)
Le texte de la légende qui suit n’est pas de ma plume. Je me suis permis de le reprendre de Mr E. Olry qui d’une part l’a joliment écrite mais qui surtout l’a posé sur le papier en 1868. J’ai simplement ajouté la fin (entre crochets) qui correspond à l’état actuel de la légende. J’ai trouvé intéressant de pouvoir voir directement l’évolution de la légende, même si du coup le récit est un peu « hachée ».
La légende :
Une jeune princesse de la noble maison de Vaudémont avait une dévotion singulière envers Notre Dame de Sion. Elle s'en revenait un jour, à cheval, du sanctuaire vénéré et traversait le bois qui couvre une partie du plateau, quand elle se vit, tout à coup, poursuivie par un jeune seigneur dont elle avait lieu de suspecter les intentions. Elle voulut chercher son salut dans la fuite, piqua sa haquenée* qui s'emporta et arriva en un instant sur le bord à pic de la montagne. En présence de cet autre danger, la retraite étant probablement impossible, la princesse n'hésita pas un instant, se recommanda de nouveau à la Vierge, sa protectrice, et s'élança dans le vide.
Le saut de la pucelle et le chemin prit par la princesse de Vaudémont dans la légende
On dit que la jeune fille n'éprouva aucun mal d'un trajet si périlleux, et qu'elle fut ainsi miraculeusement sauvée. On ajoute que les pieds du cheval marquèrent l'empreinte de leurs fers sur les rochers placés au bas de la côte, et qu'on voyait encore ces empreintes il n'y a pas bien longtemps. [Alors que le vil poursuivant de la princesse de Vaudémont s’apprêtait à effectuer le même saut, la Vierge prit une poignée d’étoiles dans le ciel et les jeta au visage du seigneur et de son destrier. La monture aveuglée, se cambra et rebroussa chemin avec son cavalier sur le dos. C’est ainsi que l’on trouve encore aujourd’hui des étoiles sur le sol.]
* Une haquenée est un cheval ou une jument destinée autrefois aux dames.
Les variantes :
Cette légende connue sous le nom de légende des étoiles de Sion ou de légende du saut de la pucelle est très populaire. Elle fut donc souvent reprise et inévitablement souvent modifiée. J’ai choisi de reprendre tel quel le texte le plus ancien que j’ai trouvé et qui date de 1868 afin d’avoir la version la plus « juste ». Donc première constatation importante : le texte d’origine ne fait pas intervenir les étoiles qui sont pourtant devenu l’élément central des versions actuelles de la légende. Mais de ça nous reparlerons dans la dernière partie.
Il existe, je vous l’ai dit, bien d’autres variantes, certes plus mineures.
La jeune fille, pivot de la légende, est souvent une princesse de la maison de Vaudémont, village se trouvant sur la colline de Sion. Il arrive toutefois que la légende parle d’une princesse, mais sans donner la filiation. Enfin certaines légendes font intervenir Jeanne d’Arc, illustre figure lorraine. Pour ma part ma préférence va sans réserve à la princesse de Vaudémont.
Parfois la princesse ajoute une phrase, faisant office de formule magique. On trouve par exemple : « Notre Dame de Sion, sauvez moi » ou « Bonne Dame de Sion, sauvez moi ».
Certaines variantes nous donnent des précisions sur le cheval de la princesse de Vaudémont. Il lui arrive d’être blanc et il lui arrive d’être un cadeau du comte Henri III.
Et puis le cavalier peut bien sûr également varier. Il est tantôt mystérieux cavalier, tantôt noble seigneur. Son devenir peut être plus ou moins tragique. Dans le meilleur des cas le cheval fait volte face, dans le pire il va s’écraser avec son cavalier au fond du ravin.
Le reste de la légende ne change que peu, si ce n’est la mise en scène produite par les conteurs.
Tentative de panorama
La réalité :
Sion, haut lieu sacré de Lorraine.
La colline de Sion est certainement un des lieux sacrés les plus important de Lorraine. Le phénomène n’est pas récent puisque avant l’implantation des chrétiens, furent présent sur la colline les cultes leuques, puis gallo-romains et enfin germains. En ce qui concerne l’occupation des lieux, les traces remontent au néolithique.
Pourquoi la colline de Sion (en fait Sion-Vaudémont) porte t’elle le même nom qu’un des monts de Jérusalem ? Il s’agit là d’un mystère.
L'ancien couvent et l'église de Sion
Sur cette colline se trouve le lieu-dit du saut de la pucelle, cadre de la légende. Il s’agit d’un ravin quasiment à la vertical et assez profond dans la forêt. A son pied se trouverait l’empreinte d’un sabot de cheval dans la roche. Si aujourd’hui elle n’est plus visible, il semblerait qu’en 1820 il était encore possible de la voir. Ce qui est par contre encore visible aujourd’hui, ce sont de vieux murets de pierre. Je n’ai aucune idée de leurs âges.
Cette fameuse empreinte n’a rien d’étonnant. Nous avons déjà vu que l’on en trouvait fréquemment dans les lieux de cultes païens.
Les étoiles de Sion
Si vous fouillez le sol de la colline de Sion, vous trouverez effectivement des « étoiles ». D’ailleurs vous croiserez certainement des gens occupés à gratter le sol. Il s’agit de fossiles de fragment de lys de mer (crinoïdes). Chaque « étoile » correspond à une unité (entroque) du pédoncule (la « tige ») de l’animal marin. C’est très grossièrement l’équivalent d’une vertèbre chez l’homme. Si vous souhaitez en trouver, rendez-vous de préférence à proximité de la croix Sainte Marguerite, c'est-à-dire à peu de distance du saut de la pucelle.
La croix Sainte Marguerite : Pour se lancer à la chasse aux "étoiles" se diriger vers les buttes toutes proches
Pour comprendre comment ces fossiles ce sont retrouvés là, il faut se souvenir qu’il y a 155 millions d’années la mer recouvrait la Lorraine. Durant cette phase marine, des dépôts sédimentaires s’accumulent sur le fond. Puis il y a 65 millions d’années la mer se retire de Lorraine et ne reviendra plus. 10 millions d’années plus tard (donc il 55 millions d’années pour ceux qui suivent) la collision des plaques eurasiatiques et africaines forme les reliefs de la Lorraine. La colline de Sion, entre autre, se forme. Ces reliefs furent beaucoup plus importants à l’origine car l’érosion aidant, les différences d’altitudes vont se réduire. Voila donc pourquoi on retrouve ces fossiles d’animaux marins sur la colline.
Nicole Lazzarini dans ces contes et légendes de Lorraine, nous fait part d’une croyance relative à ces étoiles. Si une jeune fille trouve neuf étoiles sur la colline, elle se mariera dans l’année. Je n’ai toutefois pas pu trouver d’autres sources sur cette croyance.
Elle saute, elle saute la pucelle.
Notre pauvre pucelle n’en fini pas sauter, poursuivi inlassablement par moult malandrins à travers la France. Le même thème se retrouve dans de nombreux endroits et les rochers du « saut de la pucelle » sont légions un peu partout. Elle saute par exemple dans l’Odet près de Quimper, dans le Doubs près de Dole, près du lac du Bourget, à Murel en Auvergne, à Rignac en Aveyron et ainsi de suite.
Alors pourquoi saute t’elle cette pucelle du haut des roches abruptes ? Pour sauver sa vie ? Et bien même pas puisque parfois elle en meurt. Elle saute généralement pour sauver sa virginité. Le but de ces légendes était il de marquer l’esprit des jeunes filles ? Les légendes ont parfois, comme les contes, une visée éducative ou tout du moins moralisatrice. A une époque où de la virginité d’une jeune fille au jour de son mariage, dépendait l’honneur de la famille, l’hypothèse n’est pas insensée.
Il existe évidemment des variantes dans les détails des différentes légendes, mais la trame reste relativement identique.
Et puis souvenons nous qu’il n’y a pas que les pucelles qui sautent. Les hommes aussi dévalent les roches, juchés sur leurs montures comme le rapporte par exemple la légende du saut du prince Charles à Saverne.
Ce qu’il est important de noter c’est que la spécificité de notre légende par rapport au thème classique n’est qu’une modification tardive puisque en 1868, il n’y avait pas la partie concernant les étoiles. Est-ce là une concaténation avec une autre légende ? Est-ce un ajout tardif à l’histoire ? Cet élément fut-il omis dans son texte par Mr Olry ? Ma préférence va plutôt, en l’absence d’autres textes anciennes, à la seconde hypothèse. Le 19ème, ère romantique, est l’âge d’or des légendes. Beaucoup d’histoires vont naître à cette période et certainement beaucoup d’autres seront remaniées. La notre peut être aussi.
Plan :
Voici le plan pour vous rendre au rocher de la Pucelle. Il existe différents chemins de randonnée pour y parvenir, faisant, pour la plupart, des boucles. Vous trouverez beaucoup de cartes sur place. Profitez en pour visiter le reste de la "Colline inspirée".
Légendes thématiquement proches :
Légendes géographiquement proches :
Bibliographie :
Le saut de la pucelle. E. Olry. Journal de la société d’archéologie et du comité du musée lorrain. 1868. http://books.google.fr/books?id=Q5sEAAAAQAAJ&pg=RA1-PA56&dq=%22saut+de+la+pucelle%22&lr=&as_brr=0
Colline de Sion. Wikipédia. http://fr.wikipedia.org/wiki/Colline_de_Sion
Colline de Sion. Site du conseil général de Lorraine. http://www.sion.cg54.fr/
Le guide la Lorraine de l’étrange. J-P Ronecker. 233-237.
Découverte et inventaire des fossiles – Pelouse de Sion-Vaudémont. Collège Robert Géant. http://www.mdecg54.fr/blogs/index.php?blog=191
Plusieurs sites relatant la légende du saut de la pucelle mais généralement des copier coller (ou à peu près) de Wikipédia.
Plusieurs documents sur les « saut de la pucelle » dans différents coins de France. (Vous pouvez m’en demander la liste).
7 commentaires:
Très intéressant.
Salutations.
Merci beaucoup. Heureux que cela t'intéresse.
Coucou, c'est re-moi !! Désolée pour toute cette absence : ma maman était hospitalisée depuis près de 8 mois et j'ai tenu à rester auprès d'elle autant que possible ; elle vient de décéder début juillet ! Ce qui t'explique pourquoi je venais peu sur les blogs... J'y reviens doucement parce que le coeur reste sombre et lancinant...
Quel plaisir de lire ce message sur Sion, lieu près de chez moi ! Autant dire que je connais bien cette légende et tout ce qui s'y rapporte...
Merci de m'apporter ce dérivatif ! Je vais lire tout ce que j'ai manqué chez toi
Bisous
A bientôt
Toutes mes condoléances Mélusine.
Sion est vraiment un lieu magique. J'y ai passé une très belle journée à visiter et surtout à randonner en long et en large. Il reste pour moi quelques points mystérieux sur lesquels je n'ai pas trouvé d'infos. Il existe le poirier du sotré, le trou des fées et le rocher de la licorne. Connais tu des légendes ou des croyances s'y rattachant ?
J'ai toujours "adoré" les histoires qui comportent des photos en relations avec celles-ci.
Salutations
A.D.O.
Je vais m'intéresser à ce que dont tu parles et je t'en ferai part si je trouve les légendes s'y rapportant
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