Château du Greifenstein (ou du griffon) - Saverne (67)
Un court préambule pour indiquer deux sources qui me furent indispensables. Tout d’abord la légende que j’ai repris mot pour mot de l’ouvrage « Légendes d’Alsace » de Gabriel Gravier qui l'a reprise lui-même d’Auguste Stoeber. Quand on à la chance d’avoir des textes anciens, il est dommage de les dénaturer, d’où ma démarche. Ma deuxième source est l’article « La légende de la fille d’Hippocrate à Cos » de Mr Huet dont le travail m’a servi de toile de fond pour la seconde partie.
La légende :
A Saverne, vivait encore en 1858 un vitrier qui, depuis de longues années, avait l’habitude de s’en aller tous les dimanches matin au château de Greifenstein, situé à l’ouest de la ville, à l’entrée de la belle vallée de la Zorn. Là, il s’asseyait sur un rocher, prenait son flageolet et jouait un petit air. Or, plusieurs fois, en face de lui, sur une tour ruinée, était apparue une dame vêtue de blanc, qui l’avait accompagné sur une flûte.
Au début le vitrier fut surpris par cette étrange apparition ; mais il s’y habitua peu à peu, si bien qu’une fois, apercevant la dame sur le rebord vertigineux de la tour, il s’enhardit et l’interpella :
Prenez garde de tomber !
Et la dame soupira : Plut à Dieu que je pusse me précipiter au fond de cette vallée pour mettre fin à mon tourment.
- Êtes-vous donc si malheureuse ? demanda le vitrier, ému de pitié.
- Plus que vous ne pouvez l’imaginer, répondit l’apparition ; je ne trouve point de repos dans la tombe. Du temps où je vivais sur la terre, j’étais pleine de vanité et d’avarice ; j’entassais trésors sur trésors et les cachais dans ce château ; ainsi j’ai injustement acquis cette prairie qu’on appelle encore maintenant Helematt d’après mon nom Héléna. Mais mes souffrances ne peuvent prendre fin. La malédiction du Ciel, en raison de mes péchés, me change chaque vendredi en un hideux crapaud. Je serai rachetée par celui qui aura le courage de m’embrasser sous cet aspect et de prendre la clé d’or que j’ai dans la bouche ; il aura pour lui un tiers des riches trésors cachés dans les cavernes de ces rochers ; il devra employer les deux autres tiers en bonnes œuvres.
Crapaud - Dynastie Qing. Photo : Martine Beck-Coppola
Ces paroles, avec le regard angoissé et suppliant que la dame lui jetait, décidèrent le vitrier à lui promettre qu’il essaierait le vendredi suivant de la racheter.
Il vint en effet à l’heure convenue, mais quand il aperçut sur le rocher l’immense et hideux crapaud avec ses gros yeux ronds qui luisaient, il perdit tout son courage et prit sa course jusqu’au bas de la montagne. Depuis ce jour, il ne retourna plus au château de Greifenstein et ne joua plus de son instrument favori.
La réalité :
Nous allons laisser de coté, dans cet article, le château du Greifenstein que nous retrouverons dans une seconde légende, pour nous occuper ici du mythe de la princesse transformée en batracien et du baiser libérateur. En effet nous connaissons tous des variantes de ce thème ultra-classique dont ont usé et abusé beaucoup de conteurs ou scénaristes. Nous allons d’ailleurs de ce saut nous intéresser à une légende aux similitudes troublantes qui nous vient de Grèce.
Jon Bonebrake
La légende de la fille d’Hippocrate à Cos.
Pour cette légende j’ai utilisé le texte du 14ème siècle de Jean de Mandeville qui aurait (rien n’est moins sûr) visité l’île de Cos, d’où il aurait rapporté cette légende. Je l’ai remanié pour qu’elle soit (un peu plus) lisible.
On dit que dans l’île de Cos où Hippocrate fut souverain, se trouve encore sa fille sous la forme d’un grand dragon de cent toises de long. On peut la voir sous cette forme deux ou trois fois par an dans un vieux château de l’île.
Elle fut une belle demoiselle que la déesse Diane changea en dragon, sortilège qui durera tant qu’elle ne trouvera pas un chevalier acceptant de l’embrasser sur la bouche. Le baiser mettra fin à la mutation mais la demoiselle n’aura plus guère de temps à vivre.
Un chevalier hospitalier du château de Rodes, qui était preux et hardis, annonça qu’il embrasserait le dragon et partit sur un bon coursier jusqu’au château. Il pénétra dans la cave où se terrait le dragon, mais quand le destrier du chevalier vit l’hideuse face du dragon, il fut prit de panique et sauta du haut d’une haute roche, plongeant avec son cavalier dans la mer. Ainsi fut perdu le chevalier.
Un jeune homme qui ne connaissait rien de l’histoire et du dragon parvint sur les lieux à bord de son embarcation. Il pénétra dans le château et gagna par hasard la chambre où il vit une jeune femme se peignant dans un miroir et toute entourée d’or. La dame le vit dans son miroir et lui demanda la raison de sa présence, ce à quoi il lui répondit qu’il venait en ami. La discussion s’engagea au cours la jeune femme demanda au visiteur si il était chevalier, ce qu’il n’était pas.
- Allez retrouver vos compagnons, et faites vous faire chevalier. Demain je serai dehors à vous attendre. Quand vous me verrez, ne prenez pas peur, je ne vous ferai pas de mal. Si vous me trouvez hideuse, c’est uniquement par enchantement. Embrassez moi sur la bouche et vous serez mon mari et aurez tous les trésors que vous voyez ici.
Le jeune homme quitta l’île et se fit faire chevalier parmi ses compagnons. Puis il revint le lendemain pour donner le baiser promis à la demoiselle. Quand il la vit sortir de son antre sous sa forme de dragon, il prit si peur qu’il se précipita vers son bateau. La pauvresse le suivi et quand elle vit qu’il ne reviendrait pas, elle fondit en larme en retournant dans son château. Le jeune chevalier mourut rapidement comme tous ceux qui le suivirent jusqu’à présent. Mais il en viendra un, un jour, pour aller l’embrasser. Celui-ci ne mourra pas, délivrera la demoiselle de sa métamorphose et deviendra seigneur du pays.
Représentation de Jean de Mandeville
Dans cette légende on retrouve la trame de notre légende du Greifenstein. Simplement la belle n’exige plus d’être embrassé par un chevalier et le dragon devient un crapaud. Comme coâ, tout se perd… Mais le reste du thème est quand même fort troublant et il y a de grande chance que notre légende soit une transposition de celle-ci ou d’une équivalente. Il est possible que la légende ait fait des haltes par différents lieux avant de s’implanter sur le Greifenstein. Il est également possible que cette légende basée à Cos soit elle-même une adaptation d’une autre, plus ancienne, ou d’un thème folklorique antérieur. Il y a beaucoup à dire sur ce texte, mais je vous laisse vous reporter aux travaux de G. Huet pour de plus amples informations.
La légende dans les romans de la table ronde : le fier baiser.
Il existe dans le cycle des romans de la table ronde, la notion de « fier baiser » que fit Lancelot. Pour vous conter cette légende je me suis basé sur la version écrite vers 1200 par Ulrich von Zatzikhoven et adaptée en français par René Pérennec.
En entrant dans une forêt sauvage, le vaillant Roidurant y trouva le plus hideux serpent que l’on n’eut jamais vu et parlant la langue des hommes. Celui-ci le supplia de l’embrasser, mais Roidurant, aussi intrépide fut-il, quitta prestement la forêt. Il fit part à la cour de sa découverte et aussitôt presque tous les chevaliers présents gagnèrent la forêt. Le serpent, entouré des nombreux chevaliers, les supplia de le libérer ses tourments en lui offrant un baiser. Mais aucun homme n’intercéda aux demandes répétées du reptile. Ayant apprit l’aventure, Lancelot prit neuf hommes avec lui et se rendit à son tour sur les lieux. Alors qu’ils arrivaient devant le serpent demandant déjà un baiser, les neufs chevaliers prirent peur et stoppèrent leurs chevaux. Seul Lancelot avança. Le serpent répéta sa supplique et Lancelot finit par mettre pied à terre. Sitôt eut il embrassé la bouche du serpent que celui-ci se jeta dans la rivière toute proche. Il en ressorti la plus belle femme que l’on n’eut jamais vu jusque-là, vêtue d’habits magnifiques. Celle-ci remercia mille fois le courageux chevalier. Cette dame était Elidia, fille du roi de Thile. Celle-ci fut condamner à prendre la forme d’un serpent jusqu’au jour où elle recevrait le baiser du meilleur chevalier du monde.
On retrouve ici le thème du baiser libérateur, même si ici il trouve une issue favorable. Cette fois le dragon est devenu un serpent, il n’y a plus qu’un pas dans la chaîne alimentaire vers le batracien.
Il va être difficile d’établir les chronologies entre ces textes l’un à t’il inspiré l’autre ? Etait-ce un thème folklorique traditionnel ? La logique voudrait évidemment que la version de Cos ait était ramenée pour finalement trouver sa place dans les romans de la table ronde, mais des doutes sur la version de Mandeville soumettent cette thèse à caution.
Et puis, et puis, et puis….
Et puis il y a d’autres versions que vous connaissez certainement. Tout d’abord le conte russe de la princesse grenouille où la princesse retrouvera son aspect humain après un baiser.
Et puis toutes les versions que l’inconscient populaire véhicule où les crapauds se métamorphosent en princesse ou en prince suite à un baiser.
C’est cette seconde transformation que nous racontent les frères Grimm dans « le roi Grenouille ». Un beau conte où c’est une princesse qui devra embrasser une grenouille, contrainte et forcée par père, pour respecter une promesse. Grenouille qui cache évidemment, sous ses traits peu aimables, un beau prince charmant.
Et puis Gabriel Gravier signale la même légende que celle de Greifenstein à Wissembourg (Alsace), dans le territoire de Belfort, en Allemagne et en Suisse.
Et puis… notre princesse ? Helena ? Et bien elle doit encore attendre en haut de son rocher. Malheureusement je suis passé un jeudi.
Plan :
Voici le plan pour vous rendre au Greifenstein. Parmi les nombreuses options possibles, je vous propose de prendre la route en direction de Lutzelbourg et de vous garer au niveau du premier chemin après la sortie de Saverne. De là prenez votre temps pour gagner Greifenstein via les différentes fontaines (dont Mélanie). Pensez à poursuivre votre randonnée jusqu'à la surprenante Grotte Saint-Vit (idéalement au printemps-été pour profiter de l'incroyable jardin).
Légendes thématiquement proches :
Légendes géographiquement proches :
Bibliographie :
Gabriel Gravier. Légendes d’Alsace. Tome III. Pages 192-195. Une série d’ouvrages indispensables sur le légendaire alsacien.
Huet G. La légende de la fille d’Hippocrate à Cos. Bibliothèque de l’école des Chartes. 1918. Pages 45-59. A lire pour plus d’informations sur ce qui gravite autour de la légende grecque.
Disponible sur le site Persée http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bec_0373-6237_1918_num_79_1_448606
Lanzelet d’Ulrich von Zatzikhoven par René Pérennec. Pages 367-373. Disponible partiellement sur Google Book en VO et en français moderne.
Le roi Grenouille ou Henri de Fer. Grimm Contes. http://www.grimmstories.com/fr/grimm_contes/la_fille_du_roi_et_la_grenouille pour lire ce beau conte des frères Grimm. Le site propose d’ailleurs l’intégralité des contes.
Wikipédia. Jean de Mandeville. http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_de_Mandeville
6 commentaires:
Vos contes sont toujours aussi charmants, Thérion !
Merci !
Permettez-moi de vous embrasser (bien que je sois sure que vous êtes déjà un prince...)
Grenouille, du Couarail
Je découvre par l'instance sus-citée ces "belles lisses poires", comme on disait dans ma jeunesse!
Fort intéressant! Grand merci pour ce travail!
Merci à tous les deux.
Tu me permettras de te dédier cette légende, ma chère Grenouille.
Dadu Jones, voila un bon moment que je suis tes photos sur ton blog et sur Lorraine Café. Je profite de cette occasion pour te remercier pour tous ces beaux instantanés lorrains (et autres...).
Un baiser pour un prince !!
j'en demanderai bien.... mais comme on n'est que lundi, me faut patienter !
Ah les drames du calendrier.
Des textes érudits dans leurs explications et qui éclairent ces mythes sous un autre angle, bravo !
Enregistrer un commentaire